La version avancée par Ryad disculpe la famille royale et, surtout, le prince héritier Mohammed Ben Selmane sur lequel pèsent pourtant tous les soupçons dans cette affaire d'assassinat de Jamal Khashoggi. Les autorités saoudiennes ont annoncé dans la nuit de vendredi à hier que le journaliste opposant Jamal Khashoggi a été effectivement tué dans le consulat saoudien à Istanbul, tout en niant toute implication de Ryad et du prince héritier. "Les discussions entre Jamal Khashoggi et ceux qu'il a rencontrés au consulat du royaume à Istanbul (...) ont débouché sur une rixe, ce qui a conduit à sa mort", a déclaré l'agence de presse saoudienne (SPA), citant le parquet de Ryad. "Ahmad al-Assiri, vice-président du service général de renseignement, a été renvoyé de sa fonction", a indiqué SPA, citant un décret royal. Saud ben Abdullah al-Qahtani, conseiller à la cour royale, a lui aussi été limogé, selon la même source, alors que 18 autres agents, dont des membres du commando qui a été dépêché à Istanbul, ont été parallèlement arrêtés pour leur implication présumée. Al-Assiri sert ainsi de bouc-émissaire dans ce qui s'apparente à une tentative de sauver Mohammed Ben Selmane (MBS) qui nie avoir été au courant des faits. Mais la version fournie par l'Arabie saoudite n'a pas vraiment convaincu, y compris ses alliés qui sont restés quasiment silencieux jusque-là ou ont eu des réactions mitigées. En Turquie, le Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir) a estimé que "rien ne doit être caché". Dans une déclaration à la presse, son porte-parole, Omer Celik, a affirmé hier qu'il "est du devoir de la Turquie de faire la lumière sur les circonstances de la mort du journaliste saoudien Jamal Khashoggi", lit-on sur le site de l'agence officielle Anadolu. "Nous menons notre enquête indépendante", a-t-il précisé. "Il y a beaucoup d'autres questions qui se posent sur ce qui s'est exactement passé lors du meurtre de Khashoggi", a déclaré le Premier ministre néerlandais Mark Rutte à la presse, ajoutant que "les faits doivent être révélés". Pour leur part, les Britanniques se sont montrés fermes après l'annonce saoudienne. "Nous examinons le rapport saoudien et nos prochaines mesures. Comme l'a dit le ministre des Affaires étrangères, il s'agit d'un acte terrible et les responsables doivent être jugés", a déclaré le porte-parole du ministère britannique des Affaires étrangères. Le président du Parlement européen Antonio Tajani a affirmé sur son compte twitter qu'"une enquête internationale rigoureuse est nécessaire d'urgence pour examiner les preuves et faire la lumière sur les circonstances de la mort de Jamal Khashoggi". Chez les alliés américains, seul le président des Etats-Unis Donald Trump donne du crédit à la version saoudienne. Des membres du Congrès (Sénat) ont remis en doute la version officielle de Ryad, dont on peut citer Lind Graham, un proche de Trump, qui a affirmé que "dire que je doute de la nouvelle version saoudienne n'est pas fidèle aux sentiments que j'éprouve envers lui". Il en est de même de la réaction de son collègue dans le camp républicain, le sénateur Bob Korker qui a affirmé que les déclarations changeantes de Ryad dans cette affaire poussent à ne pas croire en la crédibilité de la dernière version sur l'affaire de l'assassinat de Jamal Khashoggi. Dans le camp des démocrates, le sénateur Chris Murphy a déclaré que "la nouvelle version saoudienne de la mort de Khashoggi est absurde", tandis que le sénateur démocrate Patrick Leahy a expliqué que "le récit de Ryad sent une odeur de dissimulation". Jusqu'ici, Ryad affirmait que Khashoggi, qui était entré le 2 octobre au consulat d'Istanbul pour des démarches administratives, en était ressorti et il avait qualifié de "sans fondement" des accusations de responsables turcs selon lesquelles le journaliste avait été tué au consulat. Mais les autorités turques, qui ont fait fuiter des informations dans la presse locale, insistent sur la mort par assassinat de M. Khashoggi. La fondation Pen America a affirmé par la voix de sa directrice de la liberté d'expression, Summer Lopez, qu'"on ne peut pas laisser le régime saoudien se cacher derrière des mensonges et s'en tirer à bon compte", ont rapporté les médias locaux. Lyès Menacer