Les relations entre l'Algérie et la France sont promises à une nouvelle crise au moment où doit s'achever la rédaction d'un traité d'amitié censé sceller une réconciliation plus tournée vers l'avenir que vers l'Histoire douloureuse. C'est au nom de cet avenir que le passé est paradoxalement convoqué, d'une part pour justifier l'occultation de la douleur comme le font les députés français et, d'autre part, pour ne mettre en avant que celle-ci comme le fait le FLN qui a mis deux ans pour se réveiller au sujet d'une loi parvenue sur les bureaux de l'Assemblée nationale française le 5 mars 2003. On célébrait alors l'Année de l'Algérie en France dont le président allait être accueilli quelques jours dans une grande liesse populaire à Alger. Belkhadem devrait donc revoir son argumentaire en s'interrogeant sur le moment choisi pour promulguer cette loi en un seul article qui demande que “l'œuvre positive de l'ensemble de nos concitoyens qui ont vécu en Algérie pendant la présence française soit reconnue”. Le projet de loi, déposé le 5 mars 2003 par le député des Alpes-Maritimes Jean Léonetti, avait été signé par 111 de ses collègues, dont Philippe Douste-Blazy, promu ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement De Villepin. L'exposé des motifs souligne que “plus de quarante ans après la fin de la guerre d'Algérie, les blessures infligées ne sont pas complètement cicatrisées chez ceux qui ont vécu des deux côtés ce drame. Certains y ont perdu la vie ou celle d'un être cher, d'autres ont dû quitter leur terre natale. Tous conservent dans leur mémoire l'horreur de la guerre et de ses violences subies de part et d'autre”. Les signataires expliquent que l'histoire de la présence française en Algérie se déroule entre deux conflits, la conquête coloniale de 1840 à 1847 et la guerre d'indépendance qui s'est terminée par les accords d'Evian en 1962. Pendant cette période, soulignent-ils, la République a cependant apporté sur la terre d'Algérie son savoir-faire scientifique, technique et administratif, sa culture, sa langue et beaucoup d'hommes et de femmes, souvent de conditions modestes, venus de toute l'Europe et de toutes confessions ont fondé des familles sur ce qui était alors un département français. Ils poursuivent que “c'est en grande partie grâce à eux, à leur goût d'entreprendre que le pays s'est développé. C'est en grande partie grâce à eux que malgré les souffrances, les malentendus, les drames et les luttes fratricides que les deux pays restent profondément liés”. Ils estiment qu'une nouvelle ère de coopération entre nos deux pays souverains, respectueux chacun de l'identité de l'autre et dont les destins restent étroitement liés, doit désormais s'ouvrir. Et à leurs yeux, “ne pas évoquer l'œuvre positive de nos concitoyens en Algérie serait une erreur historique, comme il aurait été une faute de ne pas rendre hommage et exprimer notre gratitude aux soldats et aux harkis qui ont payé un lourd tribut dans ce conflit”. “Ce n'est pas, suggèrent-ils, insulter l'avenir que d'effectuer un travail de mémoire lucide et équilibré sur ce passé commun, douloureux et encore proche de nos deux pays souvent encore évoqué de manière passionnelle et caricaturale (...) Le temps de la mémoire et de la reconnaissance précède et accompagne le temps de la réconciliation, du respect et de la coopération. C'est pourquoi, pour que la France et l'Algérie puissent renforcer et approfondir les liens qui les unissent, il nous paraît souhaitable et juste que la représentation nationale reconnaisse l'œuvre de la plupart de ces hommes et de ces femmes qui, par leur travail et leurs efforts et quelquefois au prix de leur vie, ont représenté la France de l'autre côté de la Méditerranée”. Le projet ainsi déposé le 5 mars 2003 a été adopté le 25 février dernier, et n'eut été une certaine émotion provoquée dans le milieu associatif français relayée par les médias, il serait passé comme une lettre à la poste. Belkhadem va-t-il évoquer, pour sa défense, son éloignement de la direction du FLN ? Il était quand même le chef de la diplomatie. À moins que ses services furent alors pris dans le vertige de l'Année de l'Algérie en France et ont oublié de s'intéresser à la vie politique du pays où ils sont affectés. La réaction du FLN, qui menace de remette en cause le projet du traité d'amitié, est en tout cas incroyablement tardive. Et révélatrice du fonctionnement d'un parti qui ronronne tout en prétendant vouloir incarner la première force politique dans le pays. À moins que ce retard à l'allumage ne soit encore imputable à une crise sourde interne au FLN. Ou encore dans les relations entre l'Algérie et la France. Le FLN, qui s'est “offert” au président Bouteflika lors de son dernier congrès en lui donnant le poste de président, a-t-il réagi sans en référer à celui qui est perçu comme l'artisan de la réconciliation algéro-française au risque de lui porter préjudice ? Peut-être aussi qu'un grain de sable a grippé cette réconciliation. On remarquera qu'il n'y a pas eu de réunion au sommet entre les deux pays. La déclaration d'Alger en prévoyait pourtant une par semestre. Yacine KENZY