Ce monsieur est un ravage. Pas besoin d'exergue. On le laisse parler. Il fait le carême tous les lundi et jeudi. Il dit que ce n'est pas pour faire de la surenchère. Il appelle ça “gosto”. Un impôt pour la ligne. Je n'aime pas. Il ne fume plus. Je n'aime pas. Lui, c'est Meskoud. Meskoud parle d'éducation. “On va essayer de transmettre ça aux enfants.” Meskoud parle comme les cheikhs. Il dit que les temps ont changé. C'est banal. Il glisse, parfois, des mots géniaux. “On est passé du restaurant où on mange à la carte au fast-food. On est passé du rideau en toile aux portes à des portes en fer.” Meskoud était comptable à Algérie Actualités. Il a arrêté le travail, dit-il, parce qu'il fallait choisir entre 8 heures de trime et les voyages… L'andalou est précieux, le chaâbi presque pouilleux. Question : y-a t-il dichotomie ? Meskoud est formel : “Jamais il n'y a eu de couteaux tirés entre le chaâbi et l'andalou. Mais nous avons eu deux grands chefs d'orchestre pour les deux genres ! El-Anka et El-Fakhardji. Ils étaient amis.” Viennent d'autres souvenirs… Cheikh M'hamed, né le 10-11-1912 à Kenadsa. Revient Allaoua Mohamed, grand animateur de la chaîne III, surgissent les larmes et les mois de ramadan… Ammi Mourad, mort en janvier 1993. Meskoud et sa bande avaient fait éclater de rire les Algériens sur les canaux de l'Entv. Ils avaient apporté un peu de souplesse, un peu d'air. Abdelmadjid qui commence à devenir un vieillard est né à la chanson en 1963. Il a commencé par Djazaïrouna, le scoutisme, les anachid, les illusions… Il a été vite récupéré par Mohamed Tahar Benhamla, un comédien qui a joué le rôle de Hamid Serradj dans L'incendie de Badie. Ce dernier avait ouvert un espace de musique pour amateurs au foyer civique du Champ-de-manœuvre. C'est là que Meskoud a touché sa première guitare. Joli ! Abdelmadjid Meskoud a d'abord commencé par être comédien. Avec, entre autres, Hassan-El Hassani, Tayeb Abou El-Hassan ou encore Amar Ouhadda. Il a été comptable à la Rsta, pas receveur… En ce temps-là, la chanson ne nourrissait pas. Elle tuait. À un autre moment, il a été chef comptable à Algérie Actualités. Il nous payait alors. Très peu, mais toutes les fins du mois. Meskoud, submergé par les chiffres et les rêves, arrête tout. Notamment le théâtre parce que son compère de toujours, Boubegra, a, en décidant de devenir député, coulé la troupe dans laquelle il jouait. Entre 1972 et 1974, Meskoud chante dans un orchestre militaire. Il était alors conscrit aux transmissions à Béchar. En 1985, sa maison d'El-Hamma est détruite par nécessité de restructuration urbaine. ça lui insuffle un spleen immense et une chanson de génie : El-Assima. À l'époque, une femme qui voulait marier son fils cherchait un chanteur pour son fils pour la bamboula sous tonnelles. Je propose Meskoud. Il était inconnu. Elle refuse. Deux jours, plus tard, El-Assima sort. Elle en pleure et elle dit voilà un chanteur ! Du chaâbi ! C'est lui qu'elle avait refusé, tant pis ! IL A DENONCE UN CRIME Avec El-Assima Meskoud dit avoir voulu dénoncer un crime crapuleux : la mort d'El Hamma et de Belcourt. Il crie haut et fort : “Je ne pardonnerai jamais la mise à mort d'El-Hamma et du pays tout entier. Ils ont commis un massacre que même les mythiques titans n'auraient pas commis.” Remarque, rappelle Abdelmadjid Meskoud, “partout où il y a des Arabes, le désert n'est pas loin”. Star, Meskoud ? Non store, dit-il. Après l'école Cosmi et le collège Chazot, Meskoud est devenu un homme. Il a fréquenté le Roxy, le Caméra, le Musset, le Paris, l'Algeria, le Sierra Mæstra… Une nuit, tout a été rasé. Le raï est advenu : “Il a coupé des têtes, dit Meskoud. Il aime le raï authentique, il n'aime pas celui qui occupe les ondes.” Il va plus loin, il dit : “J'aime le rap, le rip et le rop mais… On va devenir raisin sec avant d'être raisin.” Nous dérivons. Nous partons du traitement réservé à l'artiste. Meskoud a une formule lumineuse. À propos des comédiens, des acteurs : “Un acteur qui arrive à l'heure à un rendez-vous, ce n'est pas un acteur, c'est un facteur ! Nous sommes dans un pays difficile. Un Algérien est dans le même temps marabout et flic, haggar ou mahgour.” Le chaâbi est une musique qui gêne, qui interpelle. Tout est fait pour les initiés. Faux, dit Meskoud : “C'est fondé sur des sous-entendus, du sens, le chaâbi tout de même utilise une langue nationale. Le niveau poétique y est, certes, très élevé mais il est accessible. Le chaâbi est un genre majeur, fondateur et il dit des vérités même s'ils est marginalisé. Le chaâbi est assimilé au CM2. Le niveau, au rouge, le vin, au kif… Tout est faux, le chaâbi a des racines.” Les chanteurs du chaâbi sont machos, Madjid s'énerve. “Les gens trempés dans le chaâbi sont doux. Ils disent des mots qui se trouvent à la portée de tout le monde. Ceux qui ne comprennent pas n'ont qu'à élever leur niveau.” Rumeurs… Meskoud, c'est vrai, est un enfant d'Alger, originaire de Beni Amrane. Guerrouabi n'est pas kabyle, pas plus que Dahmane El-Harrachi et Amar El Achab. Le chaâbi c'est tout de même la Casbah et Azzefoun. Une histoire d'amour, “parce que la Kabylie et Alger font frontière”, dit Meskoud. merci l'artiste ! Il poursuit et c'est juste, “ceux qui chantent en kabyle font du chaâbi. C'est juste le dialecte qui change”. Meskoud ne sait pas encore que le kabyle est une langue. Ce n'est pas un linguiste. Il faut s'adresser à Chomsky. Il y a une nouvelle vague de chaâbi. De chanteurs. Meskoud aime et il commente : “Il y a aussi un nouveau millénaire. Il faudrait qu'ils fassent tout de même un peu de nouveau. Sinon, ils seront périmés. Le chaâbi est une langue et ce n'est pas une langue morte. Si j'étais décideur, je l'enseignerai.” Réda Doumaz ? “Normalement, nous devrions nous imposer ensemble dans le champ de la chanson. Il y a trop de faux barrages : la télé, la radio, les journaux…” Meskoud est toujours habillé en bleu de shangaï. Ringard… il refuse : “Mon père le portait. Mes frères le portent même si ce ne sont pas des Meskoud. Pour cela, je suis connu mondialement au niveau national.” Internet ? Réponse de Abdelmadjid : “Mon cerveau s'est arrêté à la Fiat 128.” Pour le reste, Madjid demande : “Qu'on nous laisse tranquilles. On a beaucoup de choses à dire, qu'on nous laisse les dire.” Meskoud a un grand projet : 20 CD regroupant le patrimoine chaâbi et andalou. Il cherche de l'argent. Un ascenseur que son travail renverra à l'histoire du pays. Il court après les chimères. Nous continuerons à courir après lui. On aime. Meziane Ourad