Décrété une première fois, après l'attaque qui a ciblé la Garde républicaine à Tunis en 2015, l'état d'urgence a été renouvelé plusieurs fois, dont la dernière en date remonte au 4 février 2019. L'ONG non gouvernementale, Human Rights Watch (HRW) a réclamé hier l'abandon ou la révision "en profondeur" du projet de loi sur l'état d'urgence, a-t-on appris dans un communiqué diffusé sur le site de l'organisation. "Le Parlement tunisien devrait abandonner, ou revoir en profondeur, le projet de loi qui donnerait au gouvernement des prérogatives exorbitantes lui permettant de restreindre les droits lors des périodes d'état d'urgence", lit-on dans le communiqué de l'ONG, qualifiant ce texte d'un "retour en arrière" du pays en matière de droits de l'homme, après la révolution de 2010/2011 qui a abouti à la chute de l'ancien régime de Zine al-Abidine Ben Ali. Pour la directrice du bureau de Tunisie de HRW, Amna Guellali, "les pouvoirs sans limite octroyés par ce projet de loi constitueraient un retour en arrière en ce qui concerne beaucoup de droits que les Tunisiens se battent pour protéger depuis la révolution de 2011". Selon elle, "les pouvoirs spéciaux devraient avoir une portée et une durée limitées, et être sujets à l'examen de la justice". Après l'attentat qui a ciblé des membres de la Garde républicaine en 2015 à Tunis, les autorités ont décrété l'état d'urgence que le président Beji Caïd Essebsi a prolongé plusieurs fois. Sous état d'urgence depuis trois ans, la Tunisie vit aussi une situation politique et socioéconomique des plus difficiles. Les Tunisiens manifestent régulièrement, mais les autorités peuvent interdire les manifestations de rue si elles estiment qu'il y a danger, dans ce contexte d'état d'urgence. Le projet proposé par le président en novembre 2018 et dont l'examen a commencé le 18 janvier dernier irait dans ce sens, selon les ONG. "Loin de trouver cet équilibre, toutefois, le projet de loi étendrait les larges pouvoirs dont disposent les autorités pour prendre des mesures sans approbation judiciaire préalable, afin de réduire la liberté d'expression, de réunion, d'association et de mouvement, ainsi que les droits syndicaux", avertit HRW. Lancé à l'initiative de l'Académie parlementaire, le débat organisé le 15 février autour de ce projet a conclu que "le premier jet du projet de loi sur l'état d'urgence doit être révisé pour mieux définir et délimiter les prérogatives du pouvoir exécutif", a rapporté la presse locale. Des constitutionnalistes tunisiens proposent la mise en place d'abord d'une "Cour constitutionnelle" pour éviter tout dérapage. "La Cour constitutionnelle veille aussi au respect par l'Exécutif des dispositions de la Constitution et à la protection des droits et libertés", a affirmé la constitutionnaliste Salsabil Klibi, lors de ce débat, a rapporté la presse tunisienne. Par ailleurs, l'ONG a relevé le nombre important de cas d'abus d'autorité, sous le couvert de l'état d'urgence, causant de nombreux préjudices aux personnes interpellées ou placées sous-surveillance. "Les autorités ont placé plus de 130 personnes en résidence surveillée et restreint les déplacements de centaines d'autres, ce qui fait que beaucoup ont perdu leur emploi et sont devenus suspectes aux yeux de leurs amis et voisins", regrette HRW.