Les manifestants ont fait montre d'un civisme exemplaire. Aucun acte de violence n'a été commis. Des milliers d'Algériens ont battu le pavé, hier à Alger, pour dire "non au 5e mandat" pour le Président candidat Abdelaziz Bouteflika. Ils ont, du coup, franchi l'écueil de l'interdiction des marches dans la capitale, arbitrairement, imposée par les pouvoirs publics immédiatement après la fameuse marche des Aârouch, un certain 14 juin 2001. Tout a commencé vers 14h, soit à la sortie des mosquées après la prière du vendredi, lorsque la première foule a commencé à se former à la place du 1er-Mai où un imposant dispositif de sécurité était déployé dès la matinée. La manifestation, cela dit, n'a pas concerné que les fidèles et encore moins les islamistes, comme l'appréhendaient quelques supputations. Loin s'en faut. Elle a été marquée par la participation de citoyens, en majorité des jeunes de tous bords. La gent féminine n'a pas manqué au rendez-vous. Plusieurs militants dont des députés du RCD et du FFS, des membres du mouvement Mouwatana, notamment Soufiane Djilali, président de Jil Jadid, et Zoubida Assoul, présidente de l'UCP y ont également pris part. Répondant aux appels anonymes lancés, quelques jours plus tôt, via les réseaux sociaux, les Algérois sont sortis pour exprimer leur refus du 5e mandat pour le Président, malade, Abdelaziz Bouteflika, que veulent imposer ses partisans contre la volonté du peuple. Le rassemblement place du 1er-Mai, n'a pas cessé de prendre de l'ampleur au fil des minutes jusqu'à former une foule immense. Une fois n'est pas coutume, les éléments des brigades anti-émeutes dépêchés en force sur les lieux, ont, bizarrement, dérogé à la règle de réprimer systématiquement les foules. Une manifestation pacifique Les policiers, faut-il le dire, ont adopté une attitude plutôt passive. Ce qui en a étonné plus d'un, à tel enseigne que des observateurs n'ont pas écarté une éventuelle instruction "d'en haut". Les manifestants ont, pour leur part, fait montre d'un civisme exemplaire. Hormis les slogans hostiles au pouvoir, accompagnés de youyous de femmes, aucun acte violent n'a été enregistré. Les citoyens ont poussé leur civisme jusqu'à s'asseoir, par moment, devant les contingents des éléments des brigades anti-émeutes, forcés à la retenue. "Ya Bouteflika, Ya el-maroki, makench al-ouhda al-khamissa" (Bouteflika le Marocain, il n'y aura pas de 5e mandat), "Barakat, barakat, Bouteflika ou al-issabat (la mafia)", "Ouyahia ya sarraq, (le voleur)", "La nourid, la nourid, la Bouteflika, la Saïd" (on ne veut ni de Bouteflika ni de son frère Saïd), ou encore "pouvoir assassin !" sont autant de slogans hostiles au clan présidentiel scandés, en chœur, par la foule de plus en plus compacte. La vigilance du cordon policier tentant de l'empêcher de marcher ne va pas tarder à céder devant le nombre important de manifestants affluant de plusieurs endroits vers le rond-point du 1er-Mai. L'imposante foule a fini par franchir, pacifiquement, les barrières constituées par les brigades anti-émeutes. C'est ainsi que la première marche, plutôt tolérée, s'est ébranlée de la place du 1er-Mai pour atteindre, sans heurt, l'esplanade de la Grande-Poste. Empruntant le long boulevard Hassiba-Ben Bouali l'imposante marche a été accueillie comme un jour d'indépendance par les riverains qui applaudissaient depuis des balcons et des fenêtres. Les youyous des femmes mêlés aux chants des marcheurs ont donné lieu, par moment, à des scènes de grande liesse populaire. Pour autant, la circulation automobile n'a pas été bloquée. Les automobilistes n'ont pas hésité à apporter leur touche en actionnant les klaxons de leurs véhicules. Une fois à la Grande-Poste, les manifestants anti-cinquième mandat ont, une nouvelle fois, observé un imposant rassemblement avant de se diriger vers le siège de l'APN, au boulevard Zighoud-Youcef. Là également, un autre rassemblement a été tenu, malgré la forte présence de la police. La tolérance de cette dernière a donné des ailes aux manifestants pour improviser une nouvelle marche, cette fois-ci, vers le siège de la Présidence, à El-Mouradia. Au passage, ils n'ont pas manqué de s'en prendre au moindre portrait du président Bouteflika. L'action la plus spectaculaire, à ce titre, s'est produite au siège régional du RND, anciennement siège du parti unique (FLN), sis à proximité de la Grande-Poste où un groupe de jeunes s'est introduit pour arracher, avec acharnement, le portrait géant accroché à l'entrée qui finira par être brûlé sous le regard placide des policiers. Les marcheurs poursuivront leur itinéraire vers El-Mouradia, où la police les a accueillis avec des bombes lacrymogènes et des jets d'eau chaude. Les manifestants ont riposté par des jets de pierres. La foule, empêchée de parvenir jusqu'au palais présidentiel, a fini par rebrousser chemin et à se disperser dans le calme. Le dispositif policier a été maintenu mobilisé tard dans la soirée dans plusieurs endroits de la capitale. Farid Abdeladim