Après plus de trois semaines de mobilisation populaire, le pays se trouve, estime Abdelaziz Rahabi, ancien diplomate et ex-ministre de la Communication, dans "une situation délicate" car il ne dispose pas d'outils institutionnels de règlement de la crise. Par le passé, "à chaque fois, nous sommes allés chercher les outils et les solutions dans la guerre de Libération. Les Algériens sortent tous les vendredis, les pouvoirs publics ne doivent plus avoir une vision mathématique et miser sur l'essoufflement du mouvement. Ils doivent, en urgence, traduire en acte le message des revendications", assène-t-il. "Si le président de la République démissionne — et il devrait y penser sérieusement —, il sera impossible d'organiser de nouvelles élections dans les mêmes conditions sans reproduire la même situation d'avant le 22 février", pense Abdelaziz Rahabi pour qui la clé du changement réside dans la configuration du système électoral. Abordant le chapitre de la transition politique, il indique que c'est un passage d'un système à un autre qui peut prendre plusieurs formes. "Si le système avait l'intelligence, il aurait lui-même organisé la transition politique à travers son retrait de manière pacifique. Mais en Algérie, il y a une accélération du processus grâce à la mobilisation sociale. Ce n'est pas le fait de l'étranger, ni de l'intelligence du système, mais le fait des Algériens." Selon lui, dans la conjoncture actuelle, le pays ne peut régler ses problèmes qu'à travers une révision des lois électorales. "Ceux qui vont organiser la transition seront confrontés à la difficulté de mettre en place des mécanismes d'un scrutin transparent pour garantir la stabilité du pays. Je ne crois pas à une transition au sommet par le biais de négociations sous la pression des rapports de force, mais à une transition qui serait le fruit d'un accord national". Si le peuple, dit-il, "accepte des solutions intermédiaires comme une commission pour tuer tout le reste ou autre moyen proposé, sa victoire sera confisquée comme en 1962. Il faut arriver à une transition à travers un accord politique global de sortie de crise". Le premier préalable à l'entame de cette période de transition, explique Abdelaziz Rahabi, est "le départ de Bouteflika et de tout ce qu'il représente", considérant l'actuel président de la République "largement disqualifié pour être l'animateur de cette période de transition qui marquera la fin politique de l'ère Bouteflika avec la fin de son mandat". Une transition réussie doit donc traduire sur le terrain un accord consensuel de sortie de crise "si le gouvernement décide d'ouvrir des discussions sérieuses avec l'opposition qui a déjà exprimé des offres de dialogue lors des rencontres de Mazafran I et Mazafran II". Le conférencier rappelle qu'à l'époque, "le pouvoir ne répondait pas à cette offre de dialogue, tant qu'il y avait du pétrole et de l'argent. Ce système a créé une relation sacrée entre le président de la République et le peuple sans intermédiaires sociaux". Abdelaziz Rahabi concède que, certes, sans scrutin transparent, "personne ne sait ce que l'opposition représente vraiment", mais il n'est pas non plus franchement pour la diabolisation des partis politiques qui restent, d'après lui, "un cadre légal de vie politique". Et d'ajouter : "L'opposition n'est pas responsable de la politique menée depuis 20 ans. C'est à ceux qui ont géré le pays d'assumer l'échec. L'opposition a travaillé, et j'en suis témoin, pendant 10 ans, pour la convergence de propositions de sortie de crise." Tout en soutenant que nous sommes déjà dans l'après-Bouteflika et qu'il ne faudrait pas perdre de l'énergie en parlant du cinquième mandat, l'ex-diplomate regrette que "le gouvernement ne regarde pas de plus près" les transitions politiques dans le monde. "Je regrette qu'on soit autant dans l'indigence concernant les propositions du gouvernement. La conférence nationale doit être souveraine. Si elle avait été organisée plus tôt, la première décision qu'elle aurait dû prendre, c'eût été de déclarer l'état d'incapacité du Président". S'il n'y a pas de réponses "claires et fortes à la hauteur de la crise", Abdelaziz Rahabi appréhende une radicalisation de la contestation populaire. "J'ai beaucoup de craintes parce que pour le moment, je ne vois pas de signes d'apaisement", conclut-il. Nissa Hammadi