Si la rue et l'armée partagent la joie de cette victoire, elles ne sont pas pour autant en phase avec les mécanismes,mais surtout avec la nature de la transition à engager. aParti à l'assaut du clan présidentiel, dont le maître à décider est Saïd Bouteflika, le frère cadet et néanmoins conseiller du chef de l'Etat, le chef d'état-major de l'ANP, le général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah, en est sorti victorieux. Deux franches sommations et, bien sûr, une forte pression, ont eu raison de la résistance du clan, qui avait déjà perdu de sa superbe puisque laissé désespérément seul par ses nombreux alliés, partis, organisations de la société civile et personnalités. Après une ultime manœuvre, le clan des Bouteflika, qui a sollicité et obtenu l'aide de l'ex-patron du DRS, le général Mohamed Mediene, dit Toufik, s'est résigné à lâcher le pouvoir. Au grand soulagement de la rue et, certainement, à la grande satisfaction de Gaïd Salah. Cependant, si la rue et l'armée partagent la joie de cette victoire, elles ne sont pas pour autant en phase avec les mécanismes, mais surtout avec la nature de la transition à engager. Le chef d'état-major de l'ANP, on le sait, a fait le choix de la solution légale, c'est-à-dire prévue par la Constitution. Autrement dit, la désignation du président du Conseil de la nation, Abdelkader Bensalah, comme chef d'Etat intérimaire, conformément à l'article 102 de la Constitution, pour gérer la transition. Cette option n'offre pas un large spectre d'actions. Elle est balisée de sorte que le chef de l'Etat par intérim ne puisse rien entreprendre de politiquement lourd, hormis l'organisation d'une élection présidentielle dans l'intervalle des 90 jours de son magistère. Autrement dit, le président intérimaire devra forcément travailler avec les institutions qu'il a héritées du président sortant, à commencer par le gouvernement. Or, il se trouve que les Algériens qui se sont mobilisés depuis le 22 février dernier ne souscrivent pas aux feuilles de route qui intègrent des figures du système dans la conduite de la transition. Ainsi ni Bensalah ni Noureddine Bedoui, le Premier ministre, deux acteurs de premier ordre dans la transition telle qu'engagée par l'armée, n'ont l'assentiment du peuple. Ils n'ont pas également l'approbation des partis de l'opposition, en tout cas des principaux d'entre eux, qui n'ont de cesse de réitérer qu'ils sont foncièrement opposés à une transition conduite par le système. Des partis, à l'instar du RCD, du PT, de Talaie El-Houriat, du FFS, affichent clairement leur refus d'une transition dans le strict respect de l'article 102 de la Constitution. La rue n'en réclame pas moins une convergence qui mettrait en difficulté la démarche prônée par Gaïd Salah, qui se poste forcément en interface, à présent que le chef de l'Etat n'incarne plus le pouvoir. Une difficulté que n'atténueraient pas ses promesses de respecter la souveraineté du peuple en se conformant aux articles 7 et 8 de la Constitution. Et quand bien même des gages de sincérité seraient donnés, le peuple resterait sur ses gardes et ne signerait pas de chèques en blanc. D'ailleurs il a raison de réagir ainsi, car rien ne garantit une issue heureuse à la révolution en cours avec un Bensalah en tant que chef d'Etat et un Noureddine Bédoui Premier ministre. L'un comme l'autre ont servi sous le règne de Bouteflika. Tout comme Gaïd Salah d'ailleurs qui ne s'est "rallié" à la cause du peuple que tardivement. D'aucuns se remémoreraient sans difficulté, tant est que c'est de fraîche date, que, dans ses toutes premières déclarations, le chef d'état-major de l'ANP avait dénoncé les manifestations, allant même jusqu'à les désigner par le terme d'"égarés". Mais au-delà de cette accusation, mal à propos et dénuée de fondements, Gaïd Salah reste, aux yeux des Algériens, le chef militaire qui a fait beaucoup de chemin en bonne entente avec Bouteflika, cautionnant même l'option du 5e mandat, dont il ne s'est démarqué qu'après que la mobilisation de la rue l'a sabordé. Et c'est cette rue, qui reste toujours mobilisée, que Gaïd Salah devra convaincre, s'il doit faire aboutir sa feuille de route. Après le clan des Bouteflika, le chef d'état-major de l'ANP aura à subir l'épreuve de la rue. Une épreuve qui commence demain vendredi. Une épreuve pas aisée à surmonter. Sofiane AIt Iflis