C'est avec des youyous que l'annonce de la démission de Belaïz a été accueillie. Les étudiants ont marché hier à Alger. Massivement. Ils ont réussi hier une grande démonstration en bravant l'imposant dispositif sécuritaire déployé pour la circonstance. Ils ont envoyé de nouveaux signaux forts aux "décideurs politiques" encore en place, pour en finir définitivement avec les "arrangements constitutionnels" et se rendre à des mesures révolutionnaires. Plus nombreux que la semaine dernière, les étudiants ont confirmé que le mouvement du 22 février ne faiblit pas. Les artères principales d'Alger-Centre étaient noires de monde, à telle enseigne qu'on supposait que tous les étudiants que compte le pays ont "envahi" le centre de la capitale. Les jeunes contestataires ont réussi à "reconquérir" l'esplanade de l'emblématique édifice de la Grande-Poste, en fin de matinée, après que les forces antiémeutes déployées les en ont empêchés pendant près d'une heure. Ce qui s'est fait après des bousculades. Le coordinateur des secouristes bénévoles nous a confié que ses éléments ont pris en charge sur les lieux trois manifestants qui ont eu un malaise à proximité de la station de métro Tafoura. Les policiers ont essayé tout de même de contenir les manifestants, mais sans violence. Ils n'ont pas recouru, cette fois-ci, à la matraque. L'instruction a été donnée, dit-on, de ne pas réprimer, afin ne pas rééditer les scènes déplorables qui ont émaillé la marche du vendredi 12 avril au niveau du Tunnel des facultés et qui ont offusqué aussi bien les Algériens que l'opinion internationale. Vers 11h, des étudiants qui ont pris place sur les escaliers donnant accès à la Grande-Poste scandaient en chœur : "Viva l'Algérie, yetnahaw gaâ oua Gaïd Salah" (Ils doivent tous être virés, y compris Gaïd Salah.) C'est dire que même le chef d'état-major de l'ANP n'a pas été épargné. D'autres entonnaient : "Bled bledna, ndirou rayna" (Ce pays est notre patrie, et c'est nous qui décidons). Les slogans inscrits sur les banderoles montrent bien que les jeunes manifestants ont décidé de s'installer dans la durée jusqu'au départ de tout le système. Ils ont décliné, pour la circonstance, le slogan populaire "Yetnahaw ga3" dans plusieurs langues. Ces refrains ont, cependant, été entrecoupés par des youyous stridents en apprenant la démission du président du Conseil constitutionnel, Tayeb Belaïz, annoncée au milieu de la journée. Histoire de célébrer la chute du premier des "B". Ils réclament le départ des trois autres "B" : Bensalah, Bedoui et Bouchareb. La marche d'hier s'est mise en branle depuis la rue Didouche-Mourad, non loin de l'entrée principale de la Fac centrale. Organisés en petits carrés, les jeunes manifestants veulent s'imposer comme un acteur-clé dans cette révolution pacifique : "On nous a toujours considérés comme des mineurs en politique, voire des êtres inférieurs. C'est fini cette ère du tutorat. Aujourd'hui, nous avons décidé de prendre en main notre destin." D'autres contestataires, venus des différents campus universitaires, soutenus par leurs enseignants, ont amorcé une marche depuis la rue Abdelkrim-El-Khettabi, en passant par l'avenue Docteur-Saâdane, en ralliant la ruelle adjacente au lycée des Frères Aâroudj-Barberousse, sans tenter d'emprunter le Tunnel des facultés pour atteindre la place Audin, qui était encerclé par des brigades pédestres. Ils disent qu'ils ne sont pas près d'oublier les scènes de panique provoquées après l'usage de gaz lacrymogènes vendredi dernier par les policiers contre les citoyens coincés à l'intérieur du Tunnel des facultés. Les jeunes manifestants se sont séparés à l'issue de la marche, en se donnant un nouveau rendez-vous pour vendredi et mardi prochains, afin de poursuivre pacifiquement le mouvement de protestation, jusqu'à satisfaction des aspirations légitimes du peuple.