Les manifestants, par leur nombre et leur mobilisation, ont réussi à déjouer les tentatives de la police de gâcher la fête et d'empêcher que se fasse la jonction entre le 20 avril 1980 et le 22 février 2019. La commémoration du 39e anniversaire du Printemps berbère d'Avril 80 et du 18e anniversaire Printemps noir de 2001 a drainé, hier, une foule impressionnante à Tizi Ouzou où militants de la cause berbère, militants du MAK, militants de partis politiques et citoyens ont marché ensemble dans la communion et, surtout, pacifiquement, malgré la tentative ratée de la police d'empêcher la célébration de cette date phare du combat démocratique qui est aux origines du mouvement qui secoue le pays depuis le 22 février dernier. Ce sont, en effet, des dizaines de milliers de personnes qui ont pris part à cette traditionnelle et surtout sacrée manifestation qui célèbre la rupture radicale avec le diktat de l'arabo-islamisme, de la pensée unique et de la terreur imposée par le régime de Boumediene, puis de son successeur, Chadli Bendjedid, et qui a posé les premiers jalons du long combat, qui se poursuit toujours, vers l'instauration d'un régime démocratique en Algérie. Comme à l'accoutumée, les manifestants commençaient à se rassembler dès les premières heures de la matinée devant l'emblématique entrée du campus Hesnaoua, de l'université de Tizi Ouzou, d'où la marche devait démarrer à 11h. Mais contre toute attente, la police, qui a fait de la chasse aux militants du MAK son sport favori depuis plusieurs années, a déployé ses unités les plus musclées, à savoir les BRI, pour tenter d'empêcher la marche. Le dispositif déployé sur la route de l'université était des plus impressionnants, mais le nombre de militants du MAK présents sur les lieux l'était encore davantage. Les policiers, qui ont dressé de nombreux barrages filtrants tout autour de la ville aux premières heures de la matinée, n'ont pas réussi à empêcher ces militants indépendantistes de rallier l'université. Ils voulaient alors les contenir sur place, mais c'était compter sans la détermination de la foule dans toute sa diversité. L'ambiance a été par moments tendue. Un affrontement a été évité de justesse, mais la police qui a fini par céder devant la pression qui ne cessait de monter, a quitté les lieux sous les cris de la foule qui scandait à tue-tête "Pouvoir assassin !". Contrairement à toutes les marches organisées depuis le 22 février à Tizi Ouzou et qui mettaient en avant des slogans antisystème, celle d'hier a été recentrée, essentiellement, sur la question identitaire comme cela se déclinait à travers les nombreux slogans scandés tels que "Mazalagh dh Imazighen" (Nous sommes encore des Amazighs). Si dans les divers carrés formés par les militants du MAK, c'étaient les slogans plaidant pour l'indépendance de la Kabylie qui revenaient à chaque fois comme un refrain entre une chanson de Matoub Lounès et une autre d'Oulahlou, dans les autres carrés se déclinaient bien d'autres fondamentaux de la démocratie. "Tamazight, Tugdut, Tamettut dh ifaden n'Tmurt" qui signifie (Tamazight, la démocratie et la femme sont les fondements d'un Etat), lit-on sur une des banderoles déployées dans un carré formé par des femmes. "Gloire à Matoub Lounès et à toutes les victimes de la gendarmerie", "Mafia politico-militaire arabo-islamiste : l'os pour le peuple", lit-on sur une autre. "Avril 80 : février 2019", était écrit encore sur une banderole derrière laquelle on pouvait apercevoir Hend Sadi, Arab Aknine, Hacène Hirèche, Saïd Doumane et d'autres anciens militants de la cause berbère. Parmi les présents à la marche, il y avait également la veuve de Lounès Matoub, Nadia. À noter qu'outre les milliers de drapeaux aux couleurs de la Kabylie, il y avait aussi dans la marche des centaines de portraits de Matoub Lounès, des victimes du Printemps noir et aussi des figures tel Bessaoud Mohand Arav. La marche s'est dispersée dans le calme vers 15h. Samir LESLOUS