La rue a mis dans son collimateur une nouvelle cible : le chef d'état-major et vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah. Pour la première fois depuis le 22 février dernier, les manifestants exigent son départ. À partir de 16h, les rues d'Alger-Centre (Hassiba-Benbouali, Zighoud-Youcef, rue Ben M'hidi, rue Pasteur, la Grande-Poste, place Audin, Didouche-Mourad…) avaient du mal à contenir la foule compacte qui les occupait. Une demi-heure plus tôt, la circulation des piétons était pourtant relativement plus aisée comparativement aux semaines précédentes. "Des barrages ont été dressés aux accès menant à la capitale pour bloquer les manifestants. Des membres de ma famille ont pris le départ de Réghaïa à midi. Ils viennent tout juste d'arriver à la Grande-Poste", témoigne une jeune femme rencontrée aux alentours de la Fac centrale vers 15h45. À quelques encablures, une citoyenne brandit une pancarte qui illustre la situation : "Le mardi, il nous menace, mercredi, il nous remercie, jeudi, il nous ferme la route. À 80 ans, c'est normal, ainsi était mon grand-père." L'écrit vise sans aucun doute le chef d'état-major de l'armée, Ahmed Gaïd Salah. Il a constitué, d'ailleurs, une cible privilégiée des manifestants. Pour la première fois depuis l'entame de l'insurrection populaire, ils exigent explicitement son départ au même titre que les autres symboles du régime. À 13h40, à la rue Didouche-Mourad les manifestants était plutôt clairsemés. Quelques citoyens étaient drapés dans l'emblème national. En un instant, l'ambiance a complètement changé. Des processions arrivant du Sacré-Cœur, du boulevard Victor-Hugo et des multiples passages menant vers le boulevard Mohammed-V et Télemly scandaient haut et fort : "Saïd (Bouteflika, ndlr) dégage, Gaïd dégage". Ce moment de sortie des mosquées après la prière du vendredi était chargé de colère. Des hommes de tous âges, auxquels se sont joints plus tard des femmes et des enfants, ont troqué le tapis de prière contre le drapeau et des banderoles sur lesquelles ils ont exprimé clairement ce qu'ils pensent de la versatilité du discours et des actes du chef de l'institution militaire. "Ni Etat militaire ni Etat de mercenaires" ; "Non au régime militaire. Le peuple veut un Conseil présidentiel et un gouvernement de transition" ; "Le peuple décide, Gaïd exécute et non le contraire" ; "Expliquez-vous, êtes-vous avec le peuple ou avec la bande ?" ; "Si vous êtes sincère dans vos engagements, satisfaites l'ensemble des revendications du peuple"… Le frère de l'ex-président de la République, Saïd Bouteflika, est qualifié par les Algérois de tête pensante de la mafia politico-financière. "Djiboulna Saïd lel-Harrach" (amenez-nous Saïd Bouteflika à la prison d'El-Harrach), ont revendiqué des jeunes à l'entrée de l'avenue Pasteur. Quelques mètres plus loin, des dizaines de manifestants sont assis par terre. Derrière les gilets orange, une barrière de policiers ferme l'accès au tunnel des Facultés, rebaptisé au deuxième vendredi Ghar el-hirak. Les policiers sont visibles uniquement à cet endroit. Ils gardent une attitude placide tout au long de la journée. Les marcheurs du vendredi ne leur sont pas hostiles, mais s'abstiennent de leur exprimer de l'empathie par le désormais symbolique "khawa khawa". À la Grande-Poste, dans une mise en scène d'un scrutin, des citoyens ont mis dans l'urne des bulletins portant cette inscription : "Yatnahaw ga3, Algérie". La détermination du peuple ne s'est guère émoussée au fil des semaines, malgré les écueils posés par le pouvoir. De nombreux jeunes auxquels nous avons posé la question, disent préparer "un programme spécial" pour le mois de Ramadhan. "S'ils pensent que nous serons démobilisés pendant le Ramadhan, ils se trompent. Nous aurons le temps de sortir tous les jours", ont-ils promis.