Les manifestants ont modulé et adapté leurs slogans pour la circonstance, récusant pour certains la parodie de justice et des arrestations successives marquées d'une opacité qui laisse planer un doute pesant sur l'indépendance de la justice. "Echaab wa echaab, khawa khawa" en substance (Un peuple uni) ou encore "El-djeich dialna wa El Gaïd khanna" (L'armée est nôtre mais son chef nous a trahis). Des slogans qui rompent avec les mots d'ordre adoptés par les millions de manifestants qui, depuis le 22 février dernier, crient à tue-tête, tous les vendredis, l'irréversible rupture du peuple avec le système politique en place et tous ses symboles. Des slogans qui se veulent aussi et surtout une réponse sans équivoque au dernier discours du chef d'état-major de l'armée et au contenu du dernier numéro de la revue El Djeïch qui plaident pour un parachèvement du processus dit constitutionnel, enclenché depuis la démission du président démis par la volonté populaire. C'est ce qui a marqué le douzième acte de la marche citoyenne du vendredi dans la capitale de l'Est où les citoyens sont encore sortis, hier, par dizaines de milliers, bravant un soleil de plomb et l'abstinence en ce 5e jour de carême. Rien ne présageait pourtant une telle mobilisation tant la ville était restée presque fantomatique pendant toute la matinée. Même les habitués des processions et rassemblements des vendredis se demandaient si vraiment la marche sera maintenue ou repoussée à la fin de l'après-midi. Il n'en fut rien en définitive, car le rituel qui s'est mis en place pendant les onze rendez-vous précédents sera respecté. Ce sont en effet les fidèles de la prière du vendredi qui donneront le "la" dès 14 h avant l'arrivée au centre-ville de marées humaines des quatre coins de la wilaya. Vers 16 h la cité sera quasiment saturée au point d'immobiliser les carrés compacts de marcheurs. À l'affût de tous les développements survenus au courant de la semaine qui vient de s'écouler, ces derniers avaient déjà modulé et adapté leurs slogans pour la circonstance, récusant pour certains la parodie de justice et des arrestations successives marquées d'une opacité qui laisse planer un doute pesant sur l'indépendance de la justice et rejetant la feuille de route défendue par Ahmed Gaïd Salah, celle d'aller vers l'élection présidentielle le 4 juillet prochain, faisant fi d'une revendication primordiale du peuple : le départ de Bensalah et du gouvernement de Bedoui. Aussi, un mot d'ordre est scandé haut et fort au moment où des pancartes portées par des manifestants revendiquaient la désignation d'Ahmed Taleb Ibrahimi pour diriger une phase de transition : "Ni Brahimi ni chiab, hana wakt echabab" (ni Brahimi ni des vieux, l'heure des jeunes est arrivée). Une réponse cinglante particulièrement à la mouvance islamo-conservatrice qui tente de se replacer sur l'échiquier du "hirak", misant sur le rappel aux affaires d'un cacique méconnu de la majorité des acteurs du mouvement populaire né le 22 février dernier et dont les aspirations sont aux antipodes du conservatisme incarné par cette personnalité muette, faut-il le signaler, depuis son retrait de la présidentielle de 1999. Kamel Ghimouze