En deux ans, deux personnes sont décédées en prison pour avoir exprimé des opinions hostiles au régime. Condamné à deux ans de détention pour offense au président de la République, Mohamed Tamalt, journaliste blogueur, a perdu la vie en décembre 2016 après trois mois de grève de la faim, suivis de trois mois de coma profond. En mai 2019, Kamal-Eddine Fekhar, militant des droits de l'Homme, trépasse dans des circonstances similaires. Au prix de leur vie, les deux hommes ont réussi un pari impossible il y a quelques mois à peine : une prise de conscience collective sur l'impératif de se mobiliser contre le délit d'opinion ou politique. Ebranlés notamment par la mort de Fekhar au paroxysme d'une révolte contre le régime, les Algériens multiplient les appels et les actions pour que nul ne souffre de l'arbitraire et de l'isolement d'une cellule à cause de ses idées ou de ses positions politiques. Le premier acquis de cette mobilisation s'est illustré par la relaxe, jeudi en fin de journée, de Hadj Brahim Aouf, syndicaliste codétenu de Kamal-Eddine Fekhar. Il reste à obtenir gain de cause pour des personnalités réputées mais souvent pour des militants moins connus. Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs, incarcérée à la prison de Blida depuis bientôt un mois, bénéficie de très nombreux soutiens au niveau international. Intra-muros, elle est défendue de manière moins fébrile. "À l'exception des partis démocratiques (diffusion jeudi d'un appel à sa libération signé par le PT, le FFS, Jil Jadid, le PLJ, l'UCP, le PST, le RCD, le PNSD, le MDS et le PLD, ndlr), la classe politique, dans sa globalité, ne s'est pas solidarisée, alors que Louisa Hanoune a toujours été là pour tout le monde", regrette Me Boudjema Ghechir, un des membres de son collectif de défense. La Chambre d'accusation près le tribunal militaire de Blida a statué, le 20 mai, contre sa mise en liberté provisoire. "On ne peut pas introduire une nouvelle demande avant l'expiration d'un délai d'un mois", précise l'avocat. Il affirme que Louisa Hanoune souffre de quatre maladies. "La prison, quels que soient les moyens dont elle dispose, ne répond pas aux exigences d'une prise en charge médicale de ses pathologies", a-t-il alerté. Hier, Abdelmajid Hanoune a adressé une lettre au chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah, et au chef d'état-major de l'Armée nationale populaire (ANP), requérant la libération de sa sœur. "Mme Louisa Hanoune croupit en prison, indiscutablement, pour des raisons politiques (…). Tous les membres de sa famille attirent votre attention sur le fait que son état de santé et son âge (65 ans, ndlr) ne lui permettent pas de supporter la pénibilité des conditions carcérales", a-t-il argumenté. Des avocats tirent la sonnette d'alarme sur le cas Abdellah Benaoum en grève de la faim depuis plusieurs semaines "pour la liberté et contre l'oppression". "Son état de santé est inquiétant. Il a perdu beaucoup de poids et se déplace en chaise roulante", a déclaré, jeudi, Me Kerma au quotidien El Watan. Le blogueur a été condamné à deux ans de prison ferme pour outrage au président déchu Abdelaziz Bouteflika. Le diagnostic sur l'état de santé du général à la retraite Hocine Benhadid, 75 ans, est également mauvais. Souffrant de plusieurs pathologies lourdes, il a été victime, dans l'enceinte du centre pénitentiaire d'El-Harrach, d'une fracture du bassin. Des sources hospitalières disent que le septuagénaire, placé en mandat de dépôt à cause d'une contribution, dans laquelle il interpelle le général de corps d'armée Gaïd Salah sur la nécessité de faire écho à la révolte populaire, n'est pas en état de subir une intervention chirurgicale. Moins médiatisés, des citoyens purgent des peines les privant de liberté. Leur crime : des posts sur les réseaux sociaux hostiles au régime. L'exemple de Hadj Ghermoul est édifiant. Le jeune militant de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (Laddh) a été écroué en janvier 2019 à Mascara. Il lui est reproché la publication d'une photo sur laquelle il brandissait une pancarte exprimant son refus du cinquième mandat. À trois semaines près, il aurait scandé, haut et fort, cette revendication au milieu de millions de ses concitoyens. Le projet du 5e mandat a avorté, mais Hadj Ghermoul n'a pas quitté sa cellule. Il en est de même pour neuf détenus politiques à Ghardaïa, dont les noms sombrent dans l'anonymat : Mohamed Baba Nadjar, Laâsker Bahmed, Khiar Tadriss, Tachaïbt Noredine, Baouchi Affari, Bencheikh Aïssa, Allout Omar, Bassim Brahim et Gueddouh Salah.