Malédictions de Sidi El Houari ou guigne collée à leurs basques, les Oranais essuient aujourd'hui les plâtres d'une gestion clochardisée de leur quotidien. La saleté est partout présente. Ça pue à chaque coin de rue. Dépendant d'une eau “estropiée” qui refuse de grimper les étages, voilà que le soleil d'été prend des allures de savane incendiée avec des pointes de 50 degrés à l'ombre qui font exploser le thermomètre. On se protège comme on peut. Une rasade pour la route et une autre pour la tête. Tout y passe pour étancher sa soif. Même la vieille gazouze sans étiquette trouve preneur. La bouteille de Hamoud est introuvable. Eau salée, saumâtre ou suspecte, qu'importe, on fait avec ce qu'on a. Pas le temps de faire la fine bouche. Les microbes, ma foi, ça va et ça vient. “Rabi Settar”. “Ces cochonneries à force de les bouffer, de les respirer, nous ont finalement immunisés.” C'est clair, et ça respire au moins la franchise. Mais certains la respirent plus difficilement que d'autres. Les asthmatiques. Deux cents d'entre eux ont pris d'assaut les services pneumo de l'hôpital. Dix lits, trois médecins dans le service. Pas de quoi se tranquilliser. Là encore, on a fait avec ce que l'on a, c'est-à-dire pas grand-chose. La catastrophe a été évitée comme elle a été évitée près de Dahmouni à Tiaret où treize personnes atteintes de fièvre typhoïde ont été dare-dare dispatchées vers les structures de soins les plus proches. Apparemment, des eaux usées se seraient mêlées, dans les canalisations, à l'eau potable. On aura tout vu. Il s'agirait, selon nos hydrauliciens, d'un cas de “cross connection”. Qu'ils l'appellent cross machin ou Peter Pan ne changerait rien. Parce que le pire est à venir. De la wilaya de Mascara entre autres, où l'on vient de dénombrer le forage de 800 puits illicites, de Mohammadia où 4 établissements scolaires et… 1 hôpital construit avec de l'amiante font planer la menace d'un cancer sur tous les utilisateurs potentiels de ces structures. Mais il faut croire que la ville de la Thomson et de la sanguine, qui a même failli être celle du coton, est condamnée à se laisser dépouiller sans réagir devant la dégradation quotidienne de ses adductions. La pénurie d'eau, en effet, est telle que tout le monde trafique : piquage clandestin, bretelle mobile, sabotage sans bavure, détournement ; on s'approvisionne en rase campagne et on fait son plein en toute discrétion. Un confrère, qui ne manque pas d'humour, a même proposé de faire garder les conduites par des gendarmes comme des oléoducs. La carte postale pince-sans-rire devrait, à notre avis, être attribuée à la petite bourgade de Sidi Boumediène dans la wilaya de Aïn Témouchent et que les anciens continuent d'appeler, semble-t-il, hameau Perret. Trois mille habitants en tout et pour tout. 5 châteaux d'eau et pas une goutte dans les robinets. Et pour cause, on préfère se servir à la source dans les “sebbala k'bira”. C'est vrai que les temps sont durs et en période de disette tout est bon à prendre pour changer d'air et faire la fête. Après avoir chanté et dansé avec rage à Rahouia au cours d'un mariage, des dizaines de convives, pris brusquement de maux d'estomac, sont immédiatement évacués vers l'hosto où l'on diagnostiquera une méchante intoxication alimentaire. Œufs pourris, huile frelatée, il ne se passe pas un jour sans que quelqu'un soit pris d'un malaise quelconque. Aucune plainte. Aucune suite. Malheur aux vaincus ! Surtout quand leurs enfants se font mordre de temps à autre par des chiens errants. Pas toujours sains, pas toujours vaccinés. Normal, on est beaucoup plus préoccupé à retirer des permis de conduire qu'à faire mettrer des muselières. Résultat : sur trois gamins mordus ce mois près d'Oran, deux sont déjà décédés et le troisième est dans le coma. Espérons que les services municipaux ne soient pas déjà partis à la chasse aux papillons. Même les bêtes n'en mènent pas large ici. La brucellose a déjà touché une dizaine de caprins au Telagh et on nous assure que tout le bétail sera abattu. Par contre, personne ne pourra rien pour les 6 000 hectares de terres déclarées sinistrées dans la région. La canicule, encore elle. Une chose est sûre, les Oranais font face actuellement à deux calamités : celle des hommes et celle de la nature. Celle de la nature est réparable. Celle des hommes est irrémédiable. Mustapha Mohammedi