Les Algérois ont bravé l'interdiction de brandir l'emblème amazigh lors de la marche du vendredi. Hier, ils l'ont porté massivement en scandant : "Il n'y a pas de régionalisme, Arabes et Kabyles, khawa khawa." La menace du chef d'état-major de l'ANP inhérente à l'application de mesures coercitives contre les citoyens qui oseraient brandir, lors des grandes marches du vendredi, des emblèmes autres que le drapeau national n'a pas induit d'effets dissuasifs à Alger. L'étendard amazigh, visiblement le seul visé par l'avertissement du vice-ministre de la Défense nationale, Ahmed Gaïd Salah, était massivement porté, hier, dans les rues d'Alger, par des centaines de milliers de manifestants. Pourtant, la machine répressive a bel et bien été huilée pour exécuter la nouvelle tâche conférée aux services de sécurité. Dans la matinée, jusque vers 13h, les policiers s'échinaient à enlever, parfois violemment, "l'objet du délit" des mains des marcheurs. Quelques interpellations ont ciblé particulièrement des militants des droits de l'Homme. À la sortie des parkings et à l'entame des ruelles qui mènent vers la Grande-Poste, la rue Didouche-Mourad, la place du 1er-Mai…, les agents de la Sûreté nationale ont procédé à la fouille au corps ainsi qu'à celle des sacs à main et des sacs à dos. À 11h, des dizaines de citoyens, regroupés à la place de la Grande-Poste, ont été chargés par des casques bleus qui ne toléraient pas la vue de l'emblème amazigh flottant au vent. "Silmiya, silmiya", "Etat civil et non pas Etat policier", leur ont répliqué les Algérois, revenus aussitôt à l'offensive. Certains jeunes, en colère, ont jeté sur les policiers, en rangs serrés autour de l'imposant édifice, des bouteilles d'eau, des boîtes de jus vides, des sacs en plastique et des boules de papier. Comme à l'accoutumée, à la fin de la prière du vendredi, une marée humaine a envahi l'espace public sur l'axe Sacré-Cœur-place de la Grande-Poste, passant par la place Audin en débordant sur l'avenue Pasteur, et de la place du 1er-Mai vers les rues Asselah-Hocine et Zighoud-Youcef, via la rue Hassiba-Ben-Bouali. La rue s'est carrément enflammée, à partir de 14h. "Nous sommes Imazighen", criaient à tue-tête les manifestants en agitant l'emblème théoriquement interdit. Ils ont, d'ailleurs, redoublé d'ingéniosité pour passer à travers les mailles des contrôles sans que l'étendard soit trouvé et confisqué par les policiers. "Nous l'avons dissimulé soigneusement jusqu'à ce qu'il y ait assez de monde et que ne nous risquions plus rien", a témoigné un marcheur, sans nous dévoiler le secret de sa cachette. Le dernier discours du chef de l'institution militaire a assurément produit l'effet inverse sur la population insurgée. "Gaïd Salah a voulu nous diviser. Nous lui avons prouvé que nous sommes unis", nous a confié un concitoyen, heureux de la réussite de l'événement hebdomadaire. "Makach fitna, makach régionalisme, Arabes et Kabyles, khawa khawa" est le slogan phare de ce vendredi acte 18. Sans surprise, le général-major Gaïd Salah a constitué, quasi exclusivement, la cible des attaques des manifestants. Plus que jamais, son départ est exigé au même titre que celui du chef de l'Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, et du Premier ministre, Noureddine Bedoui. "Ceux qui aiment les Rangers (allusion aux militaires) n'ont qu'à partir en Egypte", "Gaïd dégage", "Etat civil et pas une caserne" ont résonné à la rue Hassiba-Ben-Bouali pendant des heures. Hier, les Algérois n'ont pas capitulé devant les injonctions du général de corps d'armée. Ils se sont plutôt approprié le symbole de l'identité ancestrale. Encore une fois, ils ont exprimé leur détermination à aller jusqu'au bout des objectifs qu'ils se sont assignés : la chute du régime et l'édification d'une Algérie démocratique.