L'emblème amazigh a été brandi de nouveau, bravant l'interdiction signifiée vendredi dernier par les services de police qui ont interpellé cinq personnes. Intervenant à la veille de la 27e commémoration de la disparition du président Mohamed Boudiaf, le 19e acte de la mobilisation citoyenne a reconduit la même détermination populaire d'en finir avec le régime politique en place, saisissant l'occasion, pour certains, de célébrer la mémoire de Si Tayeb El-Watani qui redonna espoir aux Algériens avant qu'il ne soit lâchement assassiné un certain 29 juin 1992. Particulièrement ce vendredi, ni le bulletin météorologique spécial annonçant une canicule des plus dissuasives ni le dernier discours du chef d'état-major de l'armée n'ont eu raison de la résolution des Constantinois, sortis en masse sous un soleil de plomb pour le 19e vendredi consécutif. Et, fait marquant de cette journée, en sus de l'aspect commémoratif qu'un groupe de jeunes a tenu à lui donner, l'emblème amazigh a été brandi de nouveau, bravant l'interdiction stricte signifiée vendredi dernier par les services de police qui ont interpellé pas moins de cinq personnes. Hier, l'étendard berbère est ressorti dans les rues de Constantine, accueilli par des youyous et protégé contre quelques zélés qui voulaient s'en prendre aux jeunes scandant "Les Algériens Imazighen", "Kabyles et Arabes khawa khawa wa el Gaïd Salah mâa el-khawana" ou encore"Goulou li kiadet el-arkan l Qbayel machi aadyane". Sorour Boumezbar : une femme dans le "hirak" Universitaire au chômage et accessoirement collaboratrice dans un journal électronique, elle porte, à quelques nuances près, le nom de la révolution du sourire. Depuis le 22 février dernier, elle n'a raté aucune marche et est toujours en première ligne des processions citoyennes et /ou estudiantines. Sur le tee-shirt qu'elle portait hier, à l'instar d'autres jeunes, estampillé de l'effigie du défunt Mohamed Boudiaf, on pouvait lire cette citation du président : "Ce régime a peur de la clarté, comme les oiseaux de nuit qui ne peuvent voler que dans l'obscurité." Une commémoration que Sorour a initiée avec la complicité de quelques-unes de ses amies, elle qui fut aussi, depuis le début, de tous les moments forts du hirak. Sur cette commémoration, elle témoigne : "En 1992 j'avais 6 ans, je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait en Algérie, mais je savais au fond de moi que mon pays était menacé par un grand danger ; je voyais la peur dans les yeux de mes parents. Le jour de l'assassinat de Boudiaf, j'écoutais son discours avec mes parents qui commençaient à avoir un peu d'espoir avec l'arrivée du président assassiné et, tout d'un coup, des coups de feu retentissent et ma mère a crié : ‘katlouh'. Ce 29 juin est resté gravé dans ma mémoire, c'est pourquoi commémorer cette journée en plein hirak est un acte contre l'oubli et la trahison, mais aussi pour réclamer justice. Nous devons savoir qui sont les commanditaires de cet assassinat." Son adhésion aux causes portées par la révolution populaire, elle la justifie comme suit : "Le 22 février nous a tous libérés de nos peurs. Les Algériens ont pu récupérer la rue et l'espace public en faisant preuve de beaucoup de maturité, de civisme et d'un pacifisme exemplaire pour exprimer leur refus du 5e mandat, sa prolongation, l'Etat militaire et le recyclage des figures du système politique." Sorour estime par ailleurs que les initiatives présentées jusqu'à présent par la société civile, la classe politique ou des personnalités nationales ne sont toujours pas à la hauteur des espérances et des revendications des Algériens et, partant, elle ne s'identifie à aucune d'elles. L'activiste du hirak à Constantine estime que le règne, deux décennies durant, de Bouteflika fut, à tout point de vue, un massacre, "à telle enseigne que les Algériens étaient devenus démissionnaires et indifférents par rapport à la chose politique notamment, ce qui a créé une rupture entre le pouvoir et le peuple, et c'est aussi la raison pour laquelle l'Algérien ne fait plus confiance à la classe politique pensant qu'elle est à même de détourner ses revendications et de faire la jonction avec le système en place". Concernant la position de l'armée vis-à-vis de la situation qui prévaut actuellement dans le pays, Sorour Boumezbar dira : "Les deux derniers discours du chef d'état-major de l'armée relèvent de la pure provocation. L'interdiction de porter le drapeau berbère, qui représente notre identité et qui est, à mon avis, une ligne rouge, n'est autre qu'une tentative vaine de diviser le mouvement et de l'affaiblir. En revanche, sa dernière intervention exprime clairement comment il voit le prochain président de la République. Un message clair, à mon avis, qui signifie qu'il est du ressort de son institution de décider de l'avenir du pays et que nous n'aurons jamais le président que nous souhaitons. Enfin, en tant que jeune femme algérienne, je reste convaincue qu'il reste beaucoup à faire. Notre combat pour une Algérie libre, démocratique, multiple et plurielle, l'Algérie dont nous rêvons tous, ne doit pas cesser."