Le cas Beliardouh, ce correspondant d'El Watan à Tébessa, poussé au suicide par la mafia locale a fait école. Les proconsuls du système tolèrent de moins en moins la présence indiscrète de journalistes locaux. Qu'ils soient de statut privé ou qu'ils relèvent d'institutions publiques, les notables de province n'arrivent pas à s'habituer à voir leurs gestes épiés par de curieux échotiers : c'était tellement plus simple quand les arrangements se faisaient dans l'anonymat local de province. Le correspondant de liberté vient d'être placé en détention préventive pour “outrage à agent dans l'exercice de ses fonctions”, chef d'inculpation greffé à une ordinaire affaire de voisinage. La concomitance du procès, qui se passe aujourd'hui avec celui de deux autres correspondants du Soir d'Algérie et d'El Youm, poursuivis pour diffamation, témoigne de l'intention réelle de débarrasser Sétif de cette espèce de témoins gênants. Le fait est que la cause est vaine. Le pouvoir, globalement, s'accommode péniblement de cette brèche que les luttes démocratiques ont ouverte dans le blindage du système. Il est vrai que la clandestinité des manœuvres et la confidentialité des montages réalisés en marge des institutions, sont sérieusement gênées par cette paradoxale liberté d'expression. Il est vrai aussi que la presse indépendante est vécue par l'establishment comme un paradoxe : comment souffrir la publicité de ses actes quand la moindre contestation populaire est réprimée de la façon la plus brutale ? À Tébessa, à Sétif et ailleurs, cette situation est vécue par ceux qui sont chargés de prolonger la hogra, le passe-droit et l'autoritarisme du pouvoir central dans l'Algérie profonde comme une bizarrerie. Ils se croient donc naturellement fondés à sévir contre les grosses gueules de la presse. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le harcèlement touche en priorité les correspondants de presse dans les capitales du trabendo. Le négoce trouble, contrairement au commerce intègre, a horreur de la publicité. Tous les moyens sont donc bons pour intimider les courriéristes locaux et, si possible, les réduire au silence. Les préposés à la répression locale devraient tout de même méditer le fait que la liberté de la presse a déjà suffisamment payé pour son existence, aussi bien à leurs parrains qu'à plus cruel bourreau. Ce qu'ont enduré bon nombre de nos confrères n'a pas suffi à faire taire la profession entière. Il faudra donc compter, jusqu'à nouvel ordre, avec notre incurable indiscrétion. Dans le procès d'aujourd'hui, il pourra être mis quelques doses de règlement de comptes. Mais il est inutile de compter sur notre désintérêt pour les dérives de pachas et de leurs protégés si nous venions à en constater à Sétif, à Tébessa ou ailleurs. L'isolement de nos confrères de l'intérieur semble passer pour une faiblesse chez les puissants de faubourgs qui sévissent contre eux de plus en plus volontiers et de manière de plus en plus audacieuse. Que peut-il y avoir, en effet, de “préventif” dans l'emprisonnement d'un journaliste, en effet ? Votre sens des représailles et votre option pour la répression font partie des risques de notre métier. Nous savons que, dans la défense de votre univers trouble, vous êtes incorrigibles. Mais dans l'entêtement à remplir notre mission, nous le sommes aussi. M. H.