Un peu comme s'il n'avait plus rien à faire ici-bas, en ces temps de compromis et de reniements, El-Hachemi Chérif s'est éteint. La vue claire et les principes bien amarrés, il a eu une vie de lutte à partir de positions fermes. Le secrétaire général du Mouvement démocratique et social a constitué, durant ces pénibles années, un repère contre les tentations capitulardes. Ni l'attentat manqué contre lui, ni l'efficacité triomphante du populisme, ni le mépris du militantisme pacifique, ni même la maladie n'ont pu le contraindre à l'abandon. Il avait le sang-froid du leader, le discernement du sage et le courage du militant qu'il était. Malgré l'incertitude, l'hostilité et parfois la solitude, El-Hachemi Chérif put faire de son mouvement une force active qui fut de tous les moments décisifs de l'histoire récente du pays. Ettahadi, puis le MDS surgissait souvent comme une ultime opposition à la dérive fatale. Son poids électoral, ralenti du fait de la régression populiste et de la vogue ultralibérale, n'a jamais reflété le niveau de contribution d'El-Hachemi Chérif et de sa formation dans l'œuvre de sauvegarde de la République. Cette mission de préservation nationale, qui semblait avoir contenu l'hégémonie obscurantiste, est restée inachevée, sur intervention des forces qui veillent sur le système rentier. Aujourd'hui ces forces s'emploient à contrecarrer les progrès qui devaient découler de ce combat républicain. De ce point de vue, la disparition d'El-Hachemi est gravement préjudiciable au mouvement démocratique. À l'heure des bilans, s'imposera le rôle déterminant de cet homme dans les moments critiques récents que le pays a traversés ; à l'heure des prochaines épreuves, son jugement et son engagement nous feront terriblement défaut. L'homme, malgré son aura, avait quelque chose de négligé dans son attitude. D'emblée, on y reconnaît la graine de militant trempé. Le maintien sobre mais distingué qu'il arborait conciliait son humilité et sa grandeur. Cela en faisait une personne très attachante, sans qu'on puisse savoir ce qui séduit en lui : son affectueuse spontanéité, sa conduite morale ou sa rigueur intellectuelle ? El-Hachemi pouvait paraître ringard par son cheminement politique, quelque peu disqualifié par la conjoncture libérale universelle. Il pouvait paraître décalé en cette époque où l'on ne fait plus de “politique du pauvre”. Mais nous n'avons peut-être pas su lire, derrière ses “vieux” refrains étatistes et égalitaristes, les valeurs qu'il défendait jalousement et dont il était l'un des rares à savoir qu'elles sont à ce point compromises : l'Etat, la citoyenneté, la solidarité, la dignité… Tu nous manqueras, camarade. M. H.