Native d'El-M'hasnia, à Mila, la poétesse Keltoum Deffous réside à Constantine où elle a fréquenté l'université avant de devenir professeure de français. Sa poésie chante la femme, l'enfant, la patrie et "La Colline des rois berbères". Dans cet entretien, elle revient sur son rapport à l'écriture, la place des femmes, ses racines et ses blessures d'enfance. Liberté : "La Colline des rois berbères" est le paysage de votre muse, dites-vous… Keltoum Deffous : Un petit coin de notre belle Algérie, les collines de mon enfance qui inspirent ma poésie et me lient à mes racines, à cette terre des femmes, mes aînées qui ne parlaient que poésie. Dans un dialecte arabo-berbère, mes grands-parents ont su chanter toute une culture algérienne que j'ai gardée au fond de moi et dont je veux transmettre la quintessence et la beauté dans une poésie qui aspire à l'universalité. Êtes-vous le porte-voix des femmes et des "rois berbères" ? Dans mon recueil La Colline des rois berbères, je rends hommage à nos ancêtres, à nos racines, à notre patrimoine, à notre culture plurielle dont je suis très fière. Je suis féministe dans une société où tout est conçu pour limiter la liberté des femmes et des enfants. Tout développement durable doit passer par l'éducation des femmes, leur droit au travail et leur indépendance matérielle. Elles sont la moitié de la société et elles donnent la vie. Un évènement brutal a brisé l'insouciance de votre enfance. Pouvez-vous revenir dessus pour nos lecteurs ? Tout à fait. Je porte une blessure en moi. Tous les hommes de ma tribu ont été fusillés par les soldats français, le 2 juillet 1956. Mes grands-parents martyrs sont enterrés sur la colline. Mes grands-mères veuves ont très bien réussi notre éducation grâce à nos valeurs. Je chante leur Algérie ! Je leur rends hommage avec ma poésie. Pourquoi la poésie comme moyen d'expression ? Pour l'éloquence de son message, sa magie de rendre universel ce qui est intime, de vous faire visiter votre intérieur et de vous emporter avec quelques vers... Voilà pourquoi je suis beaucoup plus portée par les ailes de la poésie que le récit ou le roman. Quelles sont les thématiques que nous pouvons retrouver dans vos textes ? J'aborde tous les sujets, en plus de la femme et des "rois berbères", j'ose des sujets tabous, le viol, l'inceste, l'amour, la liberté des femmes, leur liberté de posséder leur corps et de l'habiller à leur guise, le machisme, la misogynie, et surtout l'utilisation de notre religion des lumières juste pour opprimer les femmes... Je dénonce cette hypocrisie sociale, je prône la paix, les libertés et surtout notre culture plurielle qui est en principe, source de notre épanouissement, pas de nos querelles insensées. Personnellement, même si je m'exprime en français, ma poésie traduit toujours mon identité. L'essentiel est de communiquer et de faire passer mes messages. Vous investissez également les réseaux sociaux. Quel a été leur apport à votre écriture ? Ils m'ont permis de diffuser ma poésie et de l'éditer. Tous mes efforts d'éditer en Algérie furent vains car la poésie ne serait pas rentable. La femme à la ceinture de laine, La femme au front tatoué, Chant de femmes, Rêve de toute femme, L'insoumise... Des recueils édités en France. Notre culture confiée à la Bibliothèque nationale française ! Vous avez également décroché plusieurs prix littéraires… J'ai reçu le premier prix Poésie de la sixième journée du manuscrit francophone, le prix spécial de la paix aux Jeux floraux méditerranéens de Narbonne, le prix Blaise Cendrars, section francophonie à Pau (2017), le Genêt d'Or de poésie 2018 à Perpignan, le Prix Amavica, Poésie de l'amour de la même année, et enfin la Grande Médaille au Gênet d'Or de poésie francophone 2019. Des projets littéraires en vue ? J'ai un roman en édition, Ma grand-mère et moi, et je peaufine un recueil de poésie. Je suis membre du jury de la 7e Journée du manuscrit francophone qui aura lieu en octobre à l'Unesco de Paris. J'en profiterai pour faire la promotion de mon dernier recueil, Vendredire en poésie, édité par les Editions du Net (août 2019). C'est un recueil qui chante l'amour du pays et la révolution du sourire.