Me Abdelghani Badi est avocat et militant des droits de l'Homme. Dans cet entretien, il évoque les interpellations de manifestants opérées ces derniers temps par la police et relève un fait nouveau : des détenus qui souffrent du silence forcé observé sur leurs affaires. Liberté : Des informations relayées notamment sur les réseaux sociaux évoquent plusieurs arrestations de manifestants ces dernières semaines. Certains seraient libérés dans la journée, alors que le sort de bien d'autres reste inconnu, selon les mêmes sources. Peut-on parler d'une accentuation de la répression ? Me Abdelghani Badi : Il y a, en effet, une campagne d'arrestations, d'emprisonnements et de poursuites judiciaires. Certains manifestants sont libérés en fin de journée, alors que d'autres ont été présentés devant la justice, mais sans qu'aucune information soit communiquée à leur sujet. Nous avons recensé, dans ce cas précis, des arrestations à Bordj Bou-Arréridj et à Annaba, mais nous n'avons toujours pas réussi à accéder aux dossiers des concernés. Nous ignorons donc, pour l'heure, la nature des poursuites judiciaires dont ils font l'objet. Ce que nous savons, en evanche, c'est que les détenus sont des militants et activistes. Il est donc difficile d'établir un bilan exact des interpellations opérées ces derniers jours... C'est exactement le cas, puisque nous rencontrons des difficultés énormes à recueillir toutes les informations sur les détenus d'opinion et les manifestants qui font l'objet de poursuites judiciaires et qui doivent donc se présenter régulièrement aux commissariats de police. La raison est la discrétion de certaines familles sur le cas de leurs enfants, souvent par peur de représailles. Dans d'autres cas que nous avons pu recenser, le silence est carrément dû aux intimidations policières. Aussi, quand nous parvenons à trouver la trace de la personne poursuivie ou incarcérée, nous avons du mal à identifier les motifs de sa poursuite. C'est un sérieux problème qui nous rend la tâche difficile pour recenser toutes les affaires liées à la répression et aux atteintes aux libertés, surtout lorsqu'il s'agit de manifestants qui ne font partie d'aucune chapelle associative ou partisane. Voulez-vous dire que si la personne interpellée ne fait partie d'aucune organisation citoyenne ou politique, son cas passe forcément sous silence ? Bien entendu. L'existence d'une structure associative ou partisane où la personne poursuivie est militante nous facilite grandement la communication avec elle. Mais le problème s'aggrave dès lors que les familles dissimulent la nouvelle de l'arrestation de leur fils, pour ne pas avoir à confronter l'autorité judiciaire. Il y a aussi le fait des mises en garde d'entrer en contact avec les organisations de défense des droits de l'Homme et les avocats engagés dans la défense des droits de l'Homme. Certains détenus craignent ainsi qu'en entrant en contact avec nous, cela pourrait compliquer leur situation. L'avocat est également tenu par la volonté de la famille et de l'intéressé, et ne peut porter l'affaire devant l'opinion publique. C'est pourquoi j'estime qu'il y a des détenus qui souffrent doublement, d'abord en raison de leur arrestation, ensuite à cause du silence forcé observé sur leur affaire. Pouvons-nous donc parler d'un accroissement des arrestations ? À quel moment cela a-t-il commencé ? Si nous divisons les six derniers mois en deux parties, les interpellations étaient pratiquement inexistantes lors du premier trimestre, sauf peut-être le cas de Benhadid. Mais le deuxième trimestre, notamment en juin, juillet et août, nous avons enregistré un record en termes de répression. Le nombre des interpellations dépasse de loin les cas recensés durant les vingt ans de règne de Bouteflika. Et c'est très inquiétant.
Entretien réalisé par : Mohamed iouanoughen pour liberté arabi traduction sihem benmalek