L'escalade de la violence contre des manifestants pacifiques et les interpellations en série orchestrées, hier à Constantine, par les agents de l'ordre zélés lors de la marche citoyenne contre la tenue de l'élection présidentielle dans les conditions politiques actuelles du pays, dénoteraient-elles une volonté délibérée du pouvoir à faire abstraction des cris de millions d'Algériens qui manifestent contre le système depuis près de sept mois ? Tout porte à le croire, et ce ne sont certainement pas les images de la répression musclée subie, hier, par des dizaines de manifestants par des policiers aux attitudes vulgaires, arrogantes et agressives à souhait qui vont démentir "les ordres venus d'en haut". "Nous nous sommes retrouvés aujourd'hui pour marcher en cette date que nous avons baptisée le 15 septembre du Refus. Il n'y avait pas une présence massive mais significative par la présence de jeunes, d'étudiants et de citoyens de différents horizons. Nous nous sommes donc regroupés devant le palais de la culture Mohamed-Laïd-Al-Khalifa et avons commencé à nous organiser pour la marche. Et c'est à partir de ce moment que nous nous sommes retrouvés devant un dispositif policier surprenant et étonnant, plus agressif que les cordons habituels qu'on voyait tous les vendredis, délibérément menaçants avec des propos particulièrement insultants et des attitudes violentes et expéditives de certains policiers envers les manifestants", dira Adel Abderrezak, l'ex-porte-parole du Cnes et non moins figure de proue du hirak à Constantine, soutenant que les preuves en vidéos et photos de ces agissements existent et inondent déjà la Toile. Il prend pour exemple "celles d'une jeune fille de 20 ans agressée et traînée par terre, ce qui lui a causé plusieurs contusions, et d'une personne âgée qui aurait pu réagir très mal sur le plan de la santé". Poursuivant son témoignage, notre interlocuteur dira : "Nous avons tenu notre manifestation malgré le dispositif policier, mais ils ont, dès le départ, arrêté plusieurs personnes, dont deux journalistes qui étaient là pour faire leur travail. Nous sommes inquiets et ne comprenons pas ce comportement particulièrement agressif à Constantine et auquel nous n'étions pas habitués. Nous ne comprenons pas non plus pourquoi des responsables de la police à Constantine ont décidé et autorisé à ce que des jeunes manifestants pacifiques avec les mots d'ordre auxquels nous sommes habitués soient violentés." Pour lui, "le pouvoir est dans la difficulté majeure d'entamer une répression massive parce que le coût serait énorme pour le pouvoir politique par rapport à l'opinion publique nationale et surtout auprès des instances internationales. Un pouvoir qui essaye de se préserver et un chef d'état-major de l'armée qui tente, lui, de prémunir ses intérêts, sa famille et son réseau. De ce point de vue-là, je pense que le hirak du vendredi a installé un rapport de force qui rend difficile la logique d'une répression massive ou celle de l'état d'urgence, ce qui ne veut pas dire que cette hypothèse est exclue. Elle peut émaner des dérapages, divergences au sein du pouvoir et luttes de clans pour se donner les possibilités de casser ce mouvement populaire pacifique et citoyen". La démarche du pouvoir emprunterait d'autres voies autrement plus dangereuses, selon Adel Abderrezak : "Celle de cibler et de casser les activistes les plus présents et qui impactent ce mouvement citoyen. Ils essayent de réprimer avec des opérations coups-de-poing, des actions punitives contre les personnes qui peuvent représenter quelque chose dans ce hirak, à l'image de Bouregâa pour la dimension historique ou de Tabbou pour essayer d'ethniciser et de kabyliser la répression, et je suis heureux, fier et content que le mouvement n'a pas cédé à la provocation, en particulier en Kabylie. Nous défendrons Tabbou quel que soit son point de vue ; nous défendrons Bouregâa et tous les militants emprisonnés quelle que soit leur orientation politique, parce que de la sorte nous défendrons une révolution citoyenne qui, dans l'histoire moderne de notre univers, est la plus pacifique." Adel Abderrezak va plus loin en estimant qu'après avoir ciblé le centre du pays où se condensent les rapports de force politique, il y aurait une volonté délibérée de vouloir faire peur et de vouloir faire taire. "Surtout aujourd'hui, à travers ce qui s'est passé à Constantine et qui serait une délocalisation de la répression ciblant les activistes. Mais il y a une chose qu'il faut retenir, c'est que la peur a changé de camp depuis le 22 février. Elle n'est pas du côté du peuple qui marche, mais du côté de ceux qui décident de la façon la plus anticonstitutionnelle qui soit", conclut-il. De son côté, le militant et ex-président de la Ligue des droits de l'Homme, Boudjemâa Ghachir, qui a vigoureusement condamné la répression et les interpellations de manifestants pacifiques hier à Constantine, s'est interrogé sur les dessous de cette escalade, soupçonnant des desseins peu amènes attentant à la crédibilité du hirak à Constantine.