Maladresse diplomatique ou choix assumé pour délivrer des messages à consommation autant interne qu'externe ? Les propos du chef de l'Etat intérimaire, Abdelkader Bensalah, tenus jeudi devant le président russe, Vladimir Poutine, n'ont pas manqué de susciter une vague d'indignation chez les Algériens, particulièrement sur les réseaux sociaux, qui se sont enflammés pour l'occasion, et même au cours des marches d'hier. D'aucuns s'interrogent, en effet, sur l'opportunité de la démarche et sur les raisons l'ayant conduit à évoquer la situation interne du pays dans cette conjoncture difficile que traverse le pays. Face au dirigeant russe, Abdelkader Bensalah, dont on ignore s'il savait ou non que ses propos allaient être diffusés par la chaîne RT Arabic, mais passés sous silence par l'ENTV, a tenté de rassurer. "Si j'ai demandé à vous rencontrer, c'est pour vous rassurer sur la situation en Algérie qui est maîtrisée et vous informer que nous sommes capables de dépasser cette conjoncture", a dit Bensalah à son hôte du jour. À ses yeux, ce sont les médias, ceux-là mêmes qu'il louait trois jours plus tôt, qui "déforment la réalité à travers des informations qui manquent de précision". "Mais nous pouvons vous dire que nous avons tracé une voie et un plan que nous poursuivons. Ce plan est actuellement dans sa dernière étape", a-t-il expliqué en rappelant qu'un "dialogue a été mené avec les partenaires et les représentants de la société civile, et qu'une autorité a été créée pour superviser et organiser la prochaine élection prévue le 12 décembre". Face au dirigeant froid qui esquissait un sourire perçu par les Algériens comme narquois, et qui ne doit sans doute pas ignorer la réalité de la situation, Abdelkader Bensalah minimise l'ampleur des manifestations qui s'expriment depuis février. "Il y a quelques éléments qui sortent dans la rue pour scander des slogans." Que le contenu des discussions ait été éventé sciemment ou non, les propos d'Abdelkader Bensalah ont, en tout cas, provoqué une espèce de malaise chez nombre d'internautes dont certains n'ont pas hésité à parler d'"humiliation" et de "honte". Alger cherche-t-il un soutien auprès de Moscou, un allié historique, avec lequel il est lié par un partenariat stratégique signé en 2001 et dont la vente d'armes constitue le principal volet de la coopération ? S'agit-il d'un message destiné à certaines capitales occidentales dont les signes d'une révision de position sont à peine perceptibles à travers le "ton" adopté par les médias dont le subit intérêt à la situation tranche singulièrement avec la relative indifférence observée jusque-là ? Pour Alger, visiblement, l'enjeu semble si important au point qu'Abdelkader Bensalah a dû faire l'impasse sur la cérémonie d'investiture du président tunisien Kais Saïed où la présence algérienne était réduite aux diplomates de l'ambassade. Loin d'afficher un soutien franc au pouvoir, Moscou s'est contenté du jargon diplomatique qui fleure la prudence. La Russie "souhaite sincèrement" à l'Algérie "de surmonter ses difficultés et de renforcer sa souveraineté", a déclaré Poutine, selon des propos repris par l'agence russe Sputnik News. "Nous savons que des événements politiques très importants sont en cours en Algérie. Nous souhaitons sincèrement que le peuple algérien surmonte les difficultés de la période de transition. Nous sommes persuadés que tout se déroulera de manière à ce que le peuple algérien en profite, qu'il renforce son Etat et sa souveraineté", a-t-il dit avant de réitérer que Moscou attache une "grande importance au développement du partenariat stratégique avec l'Algérie qui est l'un de ses partenaires économiques principaux en Afrique et dans le monde arabe". Il faut dire que cette prudence n'est pas fortuite : fin août, une rencontre entre l'ambassadeur russe à Alger et les dirigeants du FLN avait fait grincer des dents et suscité un tollé après les affirmations de l'ex-parti unique selon lesquelles, Moscou soutenait l'option de l'élection dans les "plus brefs délais". Mais elle ne lève, cependant, pas le voile sur les considérations sous-jacentes à ces "conciliabules" dans cette séquence charnière. En mars dernier, l'ancien ministre des Affaires étrangères, alors vice-Premier ministre, Ramtane Lamamra, s'était rendu à Moscou pour "vendre" la "feuille de route" de Bouteflika, l'organisation d'une conférence de dialogue qui aboutira à l'élaboration d'une Constitution, puis l'organisation d'une présidentielle. Par la voix de son chef de la diplomatie, Moscou avait alors mis en garde contre "l'ingérence étrangère". "Le peuple doit décider lui-même de son avenir et de son destin sur la base de la Constitution et du respect des normes internationales du droit. De plus, il est particulièrement important que les autres pays respectent, de façon sacrée, les dispositions de l'ONU et s'abstiennent de toute ingérence dans les affaires intérieures de l'Algérie", avait déclaré alors Sergei Lavrov. On sait ce qu'il est advenu de Lamamra et de la "feuille de route". Mais à Alger, hier, les manifestants, très frileux sur la question de "l'ingérence", n'ont pas manqué de le rappeler : "L'Algérie n'est pas la Syrie."