C'est assurément les appréhensions que ces postulants nourrissent vis-à-vis de nombreuses villes, notamment du nord du pays, engagées pleinement dans le rejet du scrutin, qui semblent les avoir contraints à jeter leur dévolu sur le pays profond. Le fait est sans doute inédit : pour la première fois dans l'histoire des élections, les candidats à la magistrature suprême, quatre sur cinq, décident d'entamer leur campagne électorale depuis la même région, le sud du pays, précisément Adrar et Tamanrasset. Abdelmadjid Tebboune, candidat indépendant, Azzedine Mihoubi, secrétaire général par intérim du RND, et Abdelaziz Belaïd, président du Front El-Moustakbal, ont, par enchantement et une curieuse coïncidence, décidé de poser leurs valises pour le lancement de leur campagne dans ces villes de l'Algérie profonde. Si la direction de campagne de Tebboune a refusé d'avancer les arguments ayant inspiré le choix du lieu, celle d'Azzedine Mihoubi l'a expliqué par l'importance des zaouïas dans cette ville fétiche qu'affectionnait particulièrement le président déchu, Abdelaziz Bouteflika, grâce aux solides amitiés qu'il entretenait avec la zaouïa de Cheikh Sidi Mohamed Belkebir. "La wilaya d'Adrar a été choisie eu égard au grand nombre de zaouïas qu'elle compte et qu'il importera de convaincre de l'importance du programme de notre candidat et des solutions qu'il propose à la crise que traverse le pays, mais aussi compte tenu du grand nombre d'adhérents du parti dans cette wilaya", a justifié, dans des propos à l'APS, le directeur de campagne du candidat du RND, Mohamed Fadene. "C'est le bureau de wilaya d'Adrar qui a souhaité que le candidat du parti, Abdelaziz Belaïd, entame sa campagne depuis cette wilaya en organisant un meeting", a expliqué, pour sa part, à la même source, le chargé de l'information du Front Al-Moustakbal, Raouf Maamri. Quant à Ali Benflis, son directeur de campagne, Chakib Kouidri, ne s'est pas hasardé à fournir des explications. Traditionnellement, le choix de la première ville est motivé par des considérations à forte teneur symbolique. Mais c'est la première fois que les candidats, pourtant censés être en compétition et en concurrence, se retrouvent dans un même endroit pour solliciter l'adhésion du même corps électoral. En choisissant cette ville de l'extrême sud du pays, réputée pour la sagesse de ses habitants très influencés par les zaouïas, les candidats, dont le choix apparaît confusément concerté, entendaient visiblement lancer leur campagne, dans ce contexte si particulier, sans encombre. Au-delà de l'arrière-pensée, que le FLN, sa clientèle et autres réseaux souterrains évoluant à la périphérie du pouvoir entretenaient depuis longtemps, et selon laquelle les populations de ces contrées sont moins "frondeuses" et toujours "acquises" aux thèses du pouvoir central, c'est beaucoup plus l'image d'un début de campagne serein qu'entendaient visiblement véhiculer les candidats. Ce n'est sans doute pas sans raison que deux de ces candidats ont tenu à s'afficher devant des zaouïas. Aussi comptent-ils sur les réseaux traditionnels qui se recrutent parmi les notabilités locales influentes et autres saints-patrons. Mais c'est assurément les appréhensions qu'ils nourrissent vis-à-vis de nombreuses villes, notamment du nord du pays, engagées pleinement dans le rejet du scrutin, comme on a pu le relever depuis le début du mouvement en février, qui semblent les avoir contraints à jeter leur dévolu sur le pays profond. Mais peut-on parler décemment de campagne électorale lorsqu'elle se déroule sous haute surveillance et exclut de facto une partie de la population dont on sollicite la caution ? Pour s'être hasardé à entamer sa campagne depuis Tlemcen, tout comme Bengrina à Alger, Ali Benflis a sans doute pris la mesure du défi qui l'attend pour convaincre du bien-fondé de sa démarche. Et si ces candidats ont choisi le Sud, c'est parce que, peut-être, ils savaient qu'ils avaient perdu le Nord. Encore plus après les réactions des contestataires, dans de nombreuses wilayas, aux tentatives de marches qu'entendaient organiser les partisans de la tenue du scrutin. Vers une campagne chaotique ? Ça en a tout l'air…