C'est dans la ville de Sidi Bel-Abbès, pourtant, que va voir le jour la première bibliothèque financée par une aide de l'Union européenne grâce à la volonté et à la persévérance d'un noyau de femmes. Lorsqu'on évoque la culture dans la ville de Sidi Bel-abbès, on pense le plus souvent au raï. Au groupe Raïna raï. Les plus avertis se rappellent aussi le théâtre régional qui tente de survivre vaille que vaille à l'ombre du géant Kateb Yacine qui avait choisi d'élire domicile dans cette cité ouvrière devenue plus tard un foyer de l'agitation islamiste. C'est dans cette région qu'avait été inauguré le cycle des assassinats des étrangers. C'est elle qui a connu le plus grand massacre d'institutrices. Autant de crimes autant de symboles : partenaires étrangers, femmes et école. C'est dans la ville de Sidi Bel-Abbès, pourtant, que va voir le jour la première bibliothèque financée par une aide de l'Union européenne grâce à la volonté et à la persévérance d'un noyau de femmes dans un milieu où certains n'hésitent pas à considérer les livres comme de “dangereuses fréquentations”, selon le mot de l'écrivain Maïssa Bey, enseignante à la retraite devenue une des animatrices de ce noyau qui a pris depuis 1999 la forme d'une association portant le nom de Parole et Ecriture. Mme Bey vient de signer une convention avec le ministère de la Jeunesse et des Sports pour le financement d'une quote-part du projet évalué à 20 %. Les 80 %, soit un montant de 50 000 euros, convertis selon un curieux taux de change défavorable, sont à la charge de l'UE. La subvention a failli passer à la trappe à cause des conditions d'application trop pointilleuses pour être adaptées aux errements de l'administration algérienne. La bibliothèque aurait due être inaugurée depuis le mois d'octobre. Mais le local attribué par la mairie en plein centre de Sidi Bel-Abbès a été repris au printemps 2004 pour d'obscures raisons. On était alors en pleine campagne présidentielle et tous les coups bas étaient permis… Un autre local a été mis à disposition par la direction de l'éducation. Un peu excentré, il est plus fonctionnel. Il présente aussi l'avantage d'être situé dans un quartier populaire. Depuis une quinzaine de jours, il est fin prêt. Il compte une salle de lecture pour 70 personnes, une salle de conférence pour 80 à 100 personnes et un espace pour les non-voyants. “C'est une démarche citoyenne au profit des jeunes de la ville”, argumente Maïssa Bey qui veut faire de la bibliothèque un espace de rencontres, d'ouverture et d'échanges avec le projet d'organiser des conférences avec des écrivains et des animations pour les enfants. Démarche citoyenne, certes, malheureusement pas toujours comprise, car inédite. Et “tout ce qui déroge aux habitudes devient vite suspect.” La preuve ? Sollicités, les “notables”, entendre les fortunés, n'ont pas la courtoisie de mettre la main à la poche. Seul un entrepreneur généreux a offert 100 000 DA. La collecte a rapporté 300 000 DA. Dérisoire. Surtout lorsqu'on sait ce que certains nantis versent pour une “tebriha” dans un bar de la côte oranaise. Ou d'autres pour des œuvres pieuses afin de racheter une conscience vouée aux trafics. Avec ses 3 000 ouvrages déjà acquis, la bibliothèque ouvrira ses portes au mois d'octobre. Mais gare à tous : elle ne sera pas gratuite. La gratuité est suspecte dans ce pays où l'argent est la seule valeur. Yacine KENZY