C'est une élégante et belle amie qui nous conta cette histoire d'été, histoire vécue, curieuse et amusante. Cette amie aimait se rendre sur une petite plage de Aïn Taya, pas trop fréquentée, donc tranquille, avec une eau pas trop polluée, chose rare en ce moment. Après avoir fait trempette, elle se baladait le long de la plage, dans son maillot de bain deux pièces classique, foulant le sable d'un pas alerte. Puis, sous son parasol, elle lisait tout en surveillant ses petits neveux qui ne sortaient jamais de l'eau. Voilà qu'un jour, vers midi, deux bagnoles se pointèrent. Ce qui attira tout de suite son attention était que leurs chauffeurs les garèrent au plus près de l'eau. Ces voitures étaient occupées par des familles et dès l'ouverture des portières, les enfants, quatre par bagnole, déjà en maillot, se ruèrent vers l'eau. Le deuxième fait qui attira l'attention de notre amie était que les deux chefs de famille portaient des costars-cravates stricts. Ils aidèrent leurs épouses à décharger le matériel, les sacs et les glacières, et à dresser la table. Ils s'attablèrent immédiatement et “l'opération bouffe” commença. Elle dura assez longtemps car les plats, nombreux, étaient copieux. Alors que les mères appelaient leurs enfants pour manger à leur tour, voilà que les deux hommes, ayant tombé leur veste, enlevèrent chemise, cravate et chaussures, retroussèrent leurs pantalons jusqu'aux genoux et, le plus naturellement du monde, se jetèrent à l'eau. Après la baignade, de quelques minutes seulement, ils arpentèrent la plage pour sécher leurs pantalons, ce qui fut vite fait, la chaleur de ce mois d'août aidant. Puis, ils se rhabillèrent rapidement, sans oublier leur cravate, et partirent dans un vrombissement de moteur, chacun dans sa voiture. C'est alors que notre amie eut droit au meilleur du spectacle. En un temps record, les épouses rangèrent la vaisselle, plièrent la table et se jetèrent à l'eau avec frénésie, sans avoir enlevé leur gandoura. Tandis que leurs enfants barbotaient, elles sautaient, tapaient des mains et des pieds, criaient, se mettaient debout pour replonger immédiatement, exprimant leur bonheur et leur plaisir en invoquant Dieu et tous ses saints. Cela dura un bon moment. Elles n'étaient nullement gênées par le petit attroupement d'estivants, parmi lesquels leurs propres enfants, qui, tout comme notre amie, étaient intrigués et amusés par le spectacle. Puis, elles sortirent de l'eau à la manière de Hind Rostom, dans Bab El Hadid de Youssef Chahine, émergeant du bassin de la fontaine de la gare du Caire, sa djellaba mouillée, collée au corps, ou d'Anita Ekberg, dans La dolce vita de Federico Fellini, sortant elle aussi toute trempée de la Fontaine de Trévi de Rome, monumentales, somptueuses. Jamais sculpteur ne pouvait rêver avoir des modèles aussi beaux pour rendre avec majesté et précision les formes et la grâce du corps de la femme. Tout cela s'est passé tranquillement lors d'une chaude journée d'août, près de Aïn Taya… Une autre histoire de plage, moins surprenante que la précédente, nous a été racontée par un ami qui lui fréquente la plage “chic” de Club-des-Pins, réservé a la nomenklatura, grâce à une carte d'accès “m'derha”. Toujours en un après-midi de ce mois d'août, un surveillant de plage zélé siffla un adolescent qui se baignait en tee-shirt. Celui-ci voulait épargner aux autres estivants la vue d'une cicatrice au ventre qu'il trouvait vraiment moche. Le garçon, plutôt éveillé, demanda alors au surveillant pourquoi il n'interpellait pas l'armée de femmes qui était dans l'eau, avec hidjab et gandoura. La réponse fut à la mesure de notre curieuse époque : “Contre celles-là, je n'y peux rien. Je me demande d'ailleurs si Dieu lui-même, qu'Il me pardonne, y peut quelque chose !” Que dire et penser de cette dernière histoire arrivée à une amie médecin, travaillant toujours en ce mois d'août, qui plus est au centre-ville ? Pour se détendre, au moins une heure par jour, elle décida de prendre un abonnement pour l'accès à la piscine d'un grand hôtel. Elle s'y présenta donc, après avoir difficilement rassemblé les 37 000 (trente sept mille) DA, qui étaient le tarif annuel, lui avait-on dit (nous écrivons volontairement cette somme en chiffres et en lettres). Je vous laisse deviner l'ampleur de sa surprise et son écœurement en entendant le préposé lui dire sur un ton glacial : “Non, madame, vous vous êtes trompée, c'est 37 000 DA par mois et non par an !” Ces histoires d'août illustrent bien l'époque qui est la nôtre avec ses incohérences ahurissantes. Faut-il en rire ou en pleurer ? C'est vrai qu'il est difficile d'être jeune dans notre pays, mais voilà qu'il est aussi difficile d'être femme, surtout lorsqu'on l'oblige à cacher sa beauté. Boudjema. K. [email protected]