Face au mouvement populaire du 22 février, le président fraîchement élu a le choix entre l'option de l'apaisement et du dialogue ou la poursuite de la démarche belliqueuse que le pouvoir a expérimentée depuis des mois. Il est élu président de la République dans un contexte d'extrême tension marqué par un rejet qui s'est traduit par une abstention de près de 60% des électeurs (plus de 15 millions d'inscrits sur le fichier électoral). Qu'il ait obtenu réellement près de cinq millions de voix (20% du corps électoral) ou pas, Abdelmadjid Tebboune prendra ses fonctions au Palais d'El-Mouradia avec de nombreux handicaps. En premier lieu, une forte suspicion de fraude autour de son élection au premier tour, alors qu'il ne disposait ni d'un parti ni d'un gisement de sympathisants important. En second lieu, la contestation de l'élection, massivement exprimée avant-hier, est un autre facteur à prendre en considération, dès son installation à la Présidence, dans son approche des événements en cours et de la crise politique qui, loin s'en faut, n'a pas pris fin ce 12 décembre. Les imposantes marches de ce vendredi acte 43 de la révolution citoyenne, dans lesquelles les manifestants ont martelé n'avoir "pas voté" et scandé "Tebboune n'est pas notre président", ont davantage discrédité le scrutin et, par ricochet, son vainqueur qui voit ainsi ses marges de manœuvre, pour transcender la contestation de rue, considérablement réduites. Son offre de dialogue, quelques heures à peine après avoir été déclaré vainqueur de l'élection présidentielle, au hirak, qui ne jure que par un changement radical du régime et le départ de tous ses relais et appendices, a peu de chances d'aboutir sans la prise immédiate de mesures d'apaisement, en l'occurrence la libération inconditionnelle des détenus d'opinion et politiques, la levée de l'embargo médiatique sur les manifestations populaires et sur ceux qui portent des opinions différentes de celles du pouvoir, l'arrêt de la répression des manifestations pacifiques… Il doit, en somme, adopter à l'égard du hirak une autre démarche que celle, belliqueuse, suivie par le pouvoir depuis des mois. Ce sont-là des gages essentiels et incontournables sans lesquels, tout dialogue est inconcevable. Il n'en demeure pas moins que l'homme n'a peut-être pas les coudées franches pour aller à contresens de la ligne de conduite suivie jusqu'ici par l'état-major de l'institution militaire. Vendredi, dans les rues d'Alger, les manifestants affirmaient ne reconnaître véritablement qu'un seul président : Lakhdar Bouregâa. Mais libérer le vieux maquisard, devenu une icône depuis son incarcération à la prison d'El-Harrach le 30 juin dernier, ainsi que Karim Tabbou, Samir Belarbi, Hakim Addad et les autres activistes politiques donnera sans doute davantage de souffle à la révolution en cours depuis le 22 février dernier. Délivrer la parole et laisser libre cours aux échanges et aux débats publics se solderont fatalement par l'émergence d'une élite susceptible de structurer le hirak et de laisser mûrir ses revendications. Si un tel scénario agréait les tenants du pouvoir, ils n'auraient pas misé autant sur un enfant du système pour récupérer les prérogatives constitutionnelles d'un président de la République et fermer définitivement la parenthèse ouverte depuis la mise en application de l'article 102. En définitive, c'est "un cadeau empoisonné" que vient de recevoir le chef de l'Etat. Quel que soit son plan pour le piège, il sera confronté à des difficultés qui lui compliqueront irrémédiablement la tâche.