Devant la prison d'El-Harrach, il était difficile de se frayer un chemin au milieu de cette foule compacte venue à la rencontre des détenus libérés après avoir purgé leur peine. Treize détenus ont quitté, hier matin, la prison d'El-Harrach. Ils ont purgé une peine de six mois de prison à laquelle ils étaient condamnés par le tribunal de Sidi M'hamed, au motif qu'ils auraient attenté à "l'unité nationale" en brandissant le drapeau amazigh lors des marches du mouvement populaire. À leur sortie de la prison, ils ont été accueillis dans la liesse par leurs familles, des avocats et des dizaines de citoyens qui sont venus notamment de Kabylie, de Batna, de Skikda et d'Alger, leur rendre hommage et leur exprimer leur reconnaissance pour leur sacrifice. "On leur doit une fière chandelle", ont souligné les présents qui jouaient des coudes pour approcher les désormais ex-prisonniers. Amine Ould Taleb, Mouloud Chatri, Nacer Timssi, Makhlouf Bibi, Abderrahmane Boudraâ, Khaled Ouidir, Samir Idir Guerroudj, Messaoud Leftissi, Djaber Aïbèche, Bacha Bilel, Oudihat Khaled, Meharzi Hamza et Safi Tahar ont donc retrouvé, enfin, leur liberté. Une liberté dont ils ont été privés depuis six longs mois. Arrêtés le 21 juin dernier et condamnés à l'issue d'audiences que les avocats avaient qualifiées de "simulacres de procès", en novembre dernier, ces jeunes, à peine la trentaine pour la majorité d'entre eux, ont quitté le pénitencier encore plus engagés. "Nous avons certes purgé une peine, mais notre conviction reste inébranlable", a dit l'un des ex-détenus. La joie des familles et celle des prisonniers se mêlaient à leurs larmes. Des larmes de joie qui, toutefois, disent la douleur et la peine vécues par ces familles. "Je suis heureuse de voir mon fils quitter la prison, mais mes pensées vont à ceux qui sont encore détenus arbitrairement", nous dit la mère de Bibi Makhlouf. Devant la prison d'El-Harrach, il était difficile de se frayer un chemin au milieu de cette foule compacte venue à la rencontre des détenus libérés après avoir purgé leur peine. La police qui quadrillait les rues avait du mal à rétablir la circulation automobile bloquée à la sortie des détenus. Heureux de regagner ses pénates Les familles des détenus avaient presque hâte de quitter ce lieu "maudit". "Viens, mon fils, on nous attend au village", a dit une maman à son fils qu'elle tenait par la main et qu'elle ne quittait pas des yeux depuis l'instant où il a franchi la porte de la prison. Sans pouvoir l'extraire de cette foule qui l'étreignait et l'embrassait, elle a fini par s'isoler laissant son fils qu'elle attendait depuis six longs mois au milieu de tous ces citoyens qui l'entouraient et l'enlassaient. "Je suis heureux d'avoir quitté ce lieu, mais ma joie ne sera totale qu'à la libération de tous les autres détenus", nous déclare Bibi Makhlouf, qui a tenu à rendre hommage et à remercier "toutes celles et tous ceux qui se sont solidarisés et mobilisés pour notre libération". Emu, notamment par l'accueil que les citoyens ont réservé aux détenus, Bibi Makhlouf a également tenu à remercier "la presse indépendante" pour son rôle "dans la défense de notre cause". "Je dois préciser que je veux rendre hommage à Liberté et à El Watan qui ont pris une position franche et assumée pour notre cause, contrairement aux autres qui avaient une position nuancée", a-t-il expliqué, ajoutant que concernant son incarcération pour avoir porté le drapeau amazigh, Bibi Makhlouf affirme que "l'arbitraire" qui l'a mené en prison "n'a aucun effet sur mes convictions". Autrement dit, "le drapeau amazigh est le symbole de notre identité, l'arborer n'est nullement une quelconque atteinte au drapeau national". Entouré de sa famille venue de Tizit, dans la région d'Illilten, à Tizi Ouzou et d'Ighzer Amokrane, dans la wilaya de Béjaïa, Bibi Makhlouf a eu les larmes aux yeux quand la foule l'a invité à célébrer le 4e anniversaire de sa fille à même le trottoir, en face de la prison. À l'unisson, la foule a chanté en l'honneur de la petite Dassine qui devait célébrer son anniversaire en l'absence de son père, incarcéré. Mais elle l'a célébré d'une manière plus forte à la sortie de son père de la prison et en présence de dizaines de personnes. Plus d'une heure après leur libération, rares étaient encore les détenus qui ont quitté la ville d'El-Harrach pour retrouver leurs familles. Ils étaient quasiment dans l'impossibilité de partir et de laisser derrière eux la joie et la bonne humeur suscitées par leur libération. Pensée pour les autres détenus Messaoud Leftissi, toujours souriant, une écharpe frappée de la photo du commandant de l'ALN Lakhdar Bouregâa autour du cou, saluait les dizaines de personnes qui venaient vers lui. Dans une déclaration à Liberté, Messaoud a tenu à rendre hommage à tous les citoyens qui se sont mobilisés pour leur libération. Interrogé sur les détenus toujours incarcérés et dont 17 devraient quitter le pénitencier lundi prochain, Messaoud Leftissi a informé qu'il ne les a pas vus depuis une semaine. "La direction de la prison voulait me transférer vers un autre couloir où je devais faire quelques travaux", a-t-il raconté, ajoutant qu'après son refus, "ils m'ont mis à l'isolement pendant une semaine". Messaoud Leftissi a ajouté que son refus était motivé par le fait que son incarcération était "arbitraire". Khaled Ouidir, l'un des détenus qui ont purgé leur peine, avait du mal à contenir sa joie de retrouver sa liberté. "J'ai été arrêté le 23 juin et libéré, comme vous le voyez aujourd'hui, grâce, entre autres, au soutien de tous les citoyens, notamment ceux de ma région. Mais sans voir les autres détenus libres, la joie n'est pas totale", a-t-il dit, ajoutant que la libération des autres doit intervenir rapidement pour "faire la fête, mais également pour continuer le combat contre le système qui nous a mis dans ce trou". Tous les ex-détenus d'opinion ont évoqué ceux qu'ils ont laissés derrière eux, dans leurs cellules. Idem pour les citoyens venus les soutenir. "Nous serons toujours là, à attendre les autres détenus", a dit une animatrice au sein du Comité national pour la libération des détenus (CNLD). Le combat continue Pour ces détenus d'opinion, la case prison n'est qu'une halte dans un combat de longue haleine. "Cette peine que nous avons subie n'a aucun effet sur notre engagement et notre lutte pour un Etat de droit", a dit Messaoud Leftissi qui a rappelé, à l'occasion, ses réponses au juge lors de son procès du 23 novembre dernier. "Je ne suis pas là pour justifier mes convictions", avait-il en effet dit au juge, ajoutant que concernant le drapeau amazigh, "je vais continuer à le brandir une fois en liberté". À noter que lors de la sortie de ces 13 détenus accueillis aux cris de "Nous sommes des Amazighs", "Etat civil et non militaire", ou encore "Algérie libre et démocratique", la police a tenté d'arrêter un citoyen qui a brandi le drapeau amazigh devant le portail de la prison. Il aura fallu l'intervention des autres citoyens venus en nombre pour l'extraire des mains des dizaines de policiers qui ont essayé de l'embarquer.