Mohammed VI se voulant roi de son temps a soulevé la trappe du règne de son propre père. Le chantier de la réconciliation exige plus de temps que prévu. Menacé par l'islamisme, Mohammed VI joue la carte de l'ouverture démocratique et, comme gage de bonne volonté, décide de faire le procès du règne de Hassan II, son propre père. En 2003, l'instance "Equité et réconciliation" (IER), un organisme gouvernemental, a été mise en place pour ouvrir les dossiers de ces "années de plomb" (1960 jusqu'en 1999, date d'intronisation de Mohammed VI). Des auditions publiques de victimes d'atteinte aux droits de l'Homme lors de cette longue période ont commencé le 21 décembre 2004. Elles devaient être clôturées en avril dernier, mais face au déferlement de témoignages et devant les réserves émises par plusieurs ONG marocaines quant à la finalité de cette plongée dans le passé répressif, il a été décidé de les poursuivre jusqu'à fin 2005. Selon Mohammed VI, le déballage public de la répression s'inscrit dans la dynamique d'une réconciliation nationale entre l'Etat et les victimes des violations des droits de l'Homme et, participe de plain-pied à l'édification d'une société démocratique. Les auditions sont diffusées par la télévision nationale dans des plateaux montés dans les villes où des abus ont été dénoncés : Rabat, Casablanca, Kenitra, Al-Hoceima, Tan-Tan, Errachidia, Figuig, Fès, Tétouan et Smara, une ville du Sahara occidental. Les témoins choisis par l'IER ou par les ONG, qui ont accepté de jouer le jeu, ont raconté en public les sévices qu'ils ont endurés. Mais, il n'a pas été permis à la commission d'audition ni au public de leur adresser des questions ou de faire des commentaires, et interdiction est faite aux victimes de donner les noms de leurs tortionnaires. Cette condition a soulevé le courroux de divers ONG marocaines, dont l'AMDH (Association marocaine des droits humains), qui y voient un encouragement à l'impunité. Les témoignages ont porté sur les exactions commises au cours des soulèvements du Rif en 1958-1959 et du Moyen-Atlas en 1973, ainsi que lors des répressions de l'extrême gauche et de diverses émeutes populaires. Des voix du règne de Hassan II, aujourd'hui à l'écart, ont accusé Mohammed VI de parricide, tandis que l'establishment proche du palais n'ont cessé d'évoquer les perspectives et défis politiques soulevés par ces séances publiques en tant que pratique inédite au Maroc et dans le monde arabe et islamique, et aussi leur influence prévisible sur la culture et l'exercice de la politique, appelant à engager une réflexion sur les moyens à même de faire de ce processus une étape à l'impulsion de la démocratie et de l'Etat de droit. À l'IER, on n'arrête pas de préciser que l'objectif visé par ces auditions publiques est de donner l'occasion à la victime d'exprimer sa souffrance, ce qui contribuera à le réhabiliter. Les psychologues marocains sont unanimes sur le fait que ces auditions représentent des moments d'aveux indispensables. Le passage de la phase du silence et de l'interdiction à celle de l'expression verbale de la souffrance constitue un facteur déterminant dans la guérison des maux psychologiques. Le Maroc, le premier pays du monde arabe à avoir choisi de ne pas laisser son passé le rattraper en reconnaissant les années sombres faites de plomb et de négation de la dignité humaine, s'est rapidement rendu compte que la réconciliation ne se décrète pas, et qu'il ne s'agit pas de se cramponner dans la description de faits. La quête de la vérité exige également l'identification des bourreaux. Pour avoir délibérément omis cette condition, Mohammed VI s'est vu contraint de rallonger la mission de l'IER jusqu'à la fin de l'année D. B.