Il était environ 9h lorsque des proches et amis des manifestants arrêtés ont pris place derrière le tribunal de Sidi M'hamed, rue de la Liberté, à attendre sous une pluie battante l'arrivée des prévenus. L'attente était longue, très longue, hier, au tribunal de Sidi M'hamed, pour les familles des manifestants arrêtés vendredi dernier au cours du 48e vendredi du hirak. En tout, 20 personnes ont été présentées devant le procureur de la République avant de passer devant le juge en comparution immédiate. La majorité d'entre elles ont été arrêtées pour «attroupement et trouble à l'ordre public». «On vient de passer devant le procureur», soupire l'avocate Leila Djerdjar, interviewée peu avant 13h, à la fin de l'audition des prévenus. «Il y a 20 personnes qui ont été entendues. Elles ont été dispatchées en deux groupes : 16 d'entre elles figurent dans le même dossier. Ces personnes ont été arrêtées pour ‘‘attroupement''. La majorité d'entre elles, on leur a dit vérification de papiers, après, on les a embarquées. Parmi les quatre autres, l'un d'eux, Lamri Mohamed, a été ramené de la mosquée Errahma. Kamel Nemmiche du RAJ a été appréhendé devant la Grande-Poste. Mokrane Laouchdi, également militant du RAJ, a été embarqué pour possession de l'emblème amazigh. Quant au quatrième, il s'agit de Réda Bouarissa, il était sur le point de partir. Il fait partie des personnes libérées le 2 janvier. Ils ont trouvé dans sa poche des documents de RAJ, de Rachad et de Jil Jadid.» A noter que dans le cas de Mokrane Laouchdi, il n'a pas déployé l'emblème amazigh, «il était dans sa poche», témoigne Hakim Addad. Pour ce qui est des quatre membres des gilets oranges, ces fameux médiateurs incrustés dans les manifs avec leurs gilets estampillés «Silmiya», Me Djerdjar précise : «Trois d'entre eux se rendaient à la mosquée. Ils ont croisé un déficient mental qu'ils ont l'habitude de prendre en charge. Les policiers les ont d'emblée accusés de ‘‘tajamhor'' (attroupement).» Les charges citées paraissent, à l'évidence, bien maigres, et les dossiers, comme toujours, vides. Cela autorisait Me Leila Djerdjar à se montrer confiante pour la suite. «Normalement ils seront relâchés», a-t-elle lancé dans un sourire. Et c'est ce qui s'est produit au grand bonheur des familles. Il faut cependant préciser que les prévenus, jugés, comme nous le disions, en comparution immédiate dans l'après-midi d'hier, sont en liberté provisoire. Leur procès est fixé pour le 9 février prochain. L'attente infernale sous une pluie battante Il était environ 9h lorsque des proches et amis des manifestants arrêtés ont pris place derrière le tribunal de Sidi M'hamed, rue de la Liberté, à attendre sous une pluie battante l'arrivée des prévenus. Au froid s'ajoutait l'angoisse, la tristesse, l'épuisement… Vers 9h40, un fourgon cellulaire s'arrête près de la porte arrière du tribunal réservée aux détenus. Une dame sort son smartphone, tente de prendre une photo. Un policier l'en empêche. «C'est pour un souvenir», supplie-t-elle. Le policier en faction ne veut rien savoir. Il invite les familles à rester sur le trottoir. Finalement, il s'avère qu'aucun des manifestants embarqués vendredi ne se trouve dans le fourgon, et que les prévenus avaient été conduits au tribunal plus tôt dans la matinée, «vers 8h30», nous dit-on. Sous les arcades de la rue Abane Ramdane, devant l'entrée principale du palais de justice, un brouhaha commence à monter. Il s'agit d'un sit-in organisé à l'appel du Comité national pour la libération des détenus (CNLD). Parmi les présents, Kaci Tansaout, figure de proue du CNLD, le député FFS Djamel Baloul, Mahmoud Rechidi du PST… Notons également la présence de nombreux détenus politiques et d'opinion fraîchement libérés : Samira Messouci, Hakim Addad, Hmimi Bouider, Nabil Alloun… «Je suis fier de mon fils !» A un moment donné, vers midi, des clameurs se font entendre. Des manifestants regroupés rue de la Liberté scandent : «Atalgou ouledna ya el haggarine !» (relâchez nos enfants, oppresseurs), «Libérez les otages, makache echantage !» «Talbine el houriya, adala moustaquilla !» (On demande la liberté, une justice indépendante)… Un citoyen lâche : «Dans ce pays, il y a des cours et des tribunaux, mais il n'y a pas de justice !» Dans le hall du tribunal, les familles sont à l'affût de la moindre nouvelle. «Mon frère a été arrêté vers 16h30, ce vendredi, à proximité de la Grande-Poste. Ils lui ont reproché de dire : ‘‘Dawla madania machi askaria'' et de s'en prendre à Tebboune. Ils l'ont conduit à Baraki, ensuite à Cavaignac», témoigne la sœur de l'un des prévenus, Ahcene Aït Ouarab. «Après, il a été transféré au commissariat de Bab El Oued. On a réussi à le voir à Cavaignac, mais à Bab El Oued, ce n'était pas possible. Ma mère en était malade. Mes parents sont diabétiques. C'est une dure épreuve pour eux. Mon père au début a tenu le coup, il disait : ‘‘Je suis fier de mon fils. Après tout, ce n'est pas un voleur.'' Mais ce matin, il a craqué.» Mohamed Nemmiche, le père de Kamel Nemmiche, militant du RAJ et élu FFS à l'APW de Bouira, affiche une extraordinaire sérénité. «Mon fils n'a pas été arrêté pour avoir commis un vol ou un quelconque forfait. Notre maison a toujours été un foyer de révolutionnaires. Je n'ai pas peur pour lui parce qu'il n'a ni volé ni trahi personne. Il milite pour le pays, pour les Algériens. Un homme qui n'a pas fait de prison n'est pas un homme», martèle-t-il. Et de faire remarquer : «Mon fils sortira aujourd'hui ou demain ou même dans dix ans, le principal est qu'il ne baisse jamais la tête et qu'il reste debout.» Une citoyenne, architecte de son état, venue exprimer son soutien, lance à l'adresse de Ammi Mohamed : «Vous devez être fier de votre fils !» Et M. Nemmiche de rétorquer avec conviction : «Et je suis très fier de lui !» Il ajoute, droit dans ses bottes : «Rien n'arrêtera le hirak !»