Maintenant que l'avant-projet de loi sur les hydrocarbures est retiré, il faut ramener le débat à sa véritable nécessité : celle de la stratégie nationale d'exploitation des ressources énergétiques. Il faut aussi travailler à rassurer les partenaires étrangers en leur expliquant que ce retrait n'est nullement destiné à réduire leur intervention dans le secteur des hydrocarbures. Il faut développer un programme de restructuration de Sonatrach pour en faire une entreprise compétitive au niveau international. Il faut, enfin, réaliser un audit financier de cette entreprise pour une plus grande transparence et une meilleure information de la population sur la gestion de l'entreprise la plus importante du pays. Même s'il n'y a pas d'informations officielles sur les considérations politiques qui auraient pu motiver la décision de retrait, elle peut se justifier sur le plan technique. Il s'agit, en effet, d'un avant-projet de loi mal conçu, mal rédigé qui est destiné essentiellement à concentrer l'ensemble du pouvoir de décision concernant les hydrocarbures entre les mains d'une seule personne, le ministre en charge de ce secteur. De ce fait, cette loi n'aurait servi ni le pays ni les partenaires étrangers et son application aurait été l'objet de conflits interminables dans l'interprétation des articles de loi et par conséquent de blocages et de coûts inutiles. 1. Voici quelques remarques sur la rédaction et le contenu : (i) dès le début, le lecteur remarquera l'absence de toute référence au Conseil national de l'Energie. Cette instance est d'ailleurs totalement absente du nouveau processus décisionnel concernant le secteur. (ii) Il est écrit sous forme d'articles de loi des affirmations hypothétiques, donc par définition objet à démonstration vraie ou fausse. Nous citons (article 1) : “Ainsi déchargée d'une mission qui contredit et entrave sa vocation économique naturelle, Sonatrach SPA bénéficie, en vertu même de la présente loi, d'un renforcement accru et d'une pérennisation de son rôle fondamental dans la création de richesses au bénéfice de la collectivité nationale.” De telles affirmations sont à la limite acceptées dans un exposé des motifs, lorsqu'elles sont étayées par une démonstration valable. Mais pas au point d'en faire un article de loi, c'est-à-dire les imposer à tous par la force de la loi ! (iii) Comment une loi spécifique à un secteur, fût-il celui des hydrocarbures, traite de l'affectation de redevances à d'autres secteurs : voir article 12 et l'affectation de 10% aux collectivités locales ? Pourquoi les lois de finances dans de telles conditions ? (iv) J'invite les experts à analyser la faisabilité des dispositions transitoires contenues dans le titre IX… (v) Est-il acceptable de profiter d'une loi spécifique à un secteur pour créer des organismes publics (les deux agences) qui n'obéissent ni aux règles de fonctionnement et de contrôle de l'administration, ni aux critères de la Fonction publique ? 2. Sonatrach aurait-elle bénéficié de cette loi ? Pour permettre au lecteur de mieux apprécier la validité de la réponse à cette question, il est utile de lui présenter la séquence de la chaîne de valeurs des hydrocarbures. Celle-ci est partagée en trois niveaux : l'amont (upstream), le centre (midstream) et l'aval (downstream). Dans l'amont, il y a : la gestion des données sur le domaine minier, la signature et la supervision des contrats ou permis d'exploration et de production, l'exploration et le développement des réserves. Dans le centre, il y a : l'exploitation des champs et la production de pétrole brut, de gaz et de condensat, ainsi que leur transport et mise à disposition de l'aval. Dans l'aval, il y a : le raffinage, la liquéfaction, la distribution de gros et les capacités de stockage des produits raffinés ainsi que la distribution de détail dans les stations-service à l'intérieur du pays. Il y a la pétrochimie (production de plastiques et autres débouchés). D'autres activités concernent les services parapétroliers (maintenance des forages, services aux puits...), le ravitaillement, l'hébergement, le gardiennage, la sécurité des biens, des personnes et leur transport... La Sonatrach se présente comme un grand groupe pétrolier international, placé parmi les douze premières compagnies dans le monde et la première dans sa région. Elle exporte, essentiellement, vers l'Europe et les Etats-Unis. Elle est très fortement intégrée verticalement, puisque par ses activités propres, celles des filiales à 100 % et celles des participations majoritaires, le groupe intervient dans l'amont, le centre et l'aval. Avec une participation à 100% dans le capital des entreprises de raffinage, de distribution, de pétrochimie ; et à 51% dans le capital des sociétés de services pétroliers, Sonatrach agit en situation de quasi-monopole dans plusieurs branches d'activité. Elle possède des contrats avec plusieurs partenaires internationaux. Elle possède des participations dans plusieurs sociétés de formation, d'ingénierie et de finances. Ce qui fait la force d'une compagnie pétrolière, de dimension internationale en général et de Sonatrach en particulière, c'est la maîtrise de son amont pétrolier. Cette maîtrise à son bénéfice et au bénéfice de l'Etat. Avec l'application de cette loi qui transfère la gestion de l'amont à la nouvelle entité Alnaft, se pose la question : que deviendrait la compagnie nationale sans la maîtrise de sa force principale, son amont ? La collectivité nationale aurait-elle eu à payer les investissements futurs de Sonatrach pour la maîtrise de son amont propre et les investissements à faire par l'Etat dans la gestion du domaine minier ? Avec la création d'Alnaft, dotée d'un statut hybride qui lui permettrait d'offrir des salaires élevés et d'autres avantages, nous aurions probablement assisté à un vaste mouvement des compétences de Sonatrach vers cette nouvelle structure. D'où un risque sérieux de dépouiller cette entreprise de ses meilleures compétences et de la fragiliser davantage. Aujourd'hui, l'urgence dans la restructuration du secteur des hydrocarbures est de transformer une entreprise, considérée mal gérée, en une entreprise compétitive au niveau international. La Sonatrach n'est pas concentrée sur ses métiers de base. Elle opère dans différentes activités. C'est donc au changement de ces caractéristiques de la gestion de l'entreprise qu'il faut s'atteler. Il faut, par conséquent, veiller à : (I) Définir les métiers de base et transformer l'entreprise corrélativement à cette définition. (II) Identifier la nouvelle structure organisationnelle par des unités d'affaires stratégiques autonomes et sélectionner le personnel. (III) Mettre en place un nouveau système d'information basé sur les infrastructures modernes de la technologie des télécommunications et de l'informatique. (IV) Sélectionner l'équipe dirigeante qui doit gérer la transformation et la restructuration. La sélection doit être basée sur la capacité de leadership, la moralité, l'intelligence et le jugement, plutôt que sur les critères classiques de formation et d'expérience uniquement, quand ce n'est pas la cooptation et le régionalisme qui priment ! À jeudi prochain pour la suite de la réponse à notre question entre-temps, travaillons tous et toutes à l'élargissement de la base du dialogue sur l'avenir de l'Algérie. A. B.