Bien avant les décisions des autorités, les villageois ont adopté des mesures radicales pour faire face à la propagation de l'épidémie. Un dispositif de prévention et une logistique ont été mis en place à cet effet. "Covid-19". "Accès interdit". Ce s deux messages écrits en noir sur deux bouts de contreplaqué, placés à deux ou trois mètres devant une barrière mobile au milieu de laquelle est accroché un panneau rouge indiquant un stop désignent une nouvelle "frontière" que nul ne peut désormais franchir en toute liberté. Un poste avancé contre un ennemi invisible mais redoutable : le coronavirus. Nous sommes à quelques trois kilomètres de l'entrée du village le plus peuplé de la wilaya de Tizi Ouzou, Taourirt Mokrane, dans la commune de Larbâa Nath Irathen. Nous ne quittons pas encore totalement la ville fantôme de Larbâa Nath Irathen, lorsque nous apercevons un panneau indiquant la route à suivre pour se rendre à Taourirt, sur une distance de trois kilomètres. Mais, à peine la bifurcation entamée que nous voici déjà devant ce "barrage filtrant" où une dizaine de jeunes veillent au strict respect des mesures décidées par l'assemblée du village. L'un d'eux, la bouche recouverte d'une bavette, nous fait signe pour nous arrêter. "L'accès au village est interdit pour tout étranger, nous sommes en confinement !" nous lance-t-il d'emblée. À peine le contact établi, tout le groupe, avec l'accueil chaleureux connu aux gens de haute montagne, nous entoure dans le respect des distances d'usage par ces temps de pandémie pour nous fournir des explications. "Nous avons instauré ce point filtrant depuis maintenant cinq jours. Avant, nous avions pris un certains nombre de mesures à l'intérieur du village comme la fermeture des cafétérias avant même la décision des autorités, la désinfection des places publiques, mais vu l'évolution de la propagation du virus, nous avons tenu une assemblée du village à l'initiative d'un collectif de jeunes et nous avons décidé de recourir à cette solution radicale de confinement total", nous explique un membre du collectif non sans exprimer toute l'inquiétude qui a conduit le village à recourir à cette mesure extrême. "Imagine un seul instant qu'un village de plus de 17 000 habitants comme le nôtre commence à enregistrer des cas de contamination au Covid-19. Qui pourra alors arrêter le massacre ! Nous n'avons d'autre choix que de nous battre pour préserver le village et rester à zéro cas", nous a-t-il expliqué avant que son collègue nous détaille le plan mis en place. Une discipline militaire Selon les membres du collectif, le village compte ordinairement trois accès, mais deux d'entre eux sont fermés depuis quelques jours pour mieux contrôler les entrées et sorties via ce désormais unique accès. "Les volontaires du village se sont répartis en quatre sections de sécurité et chaque section a son responsable. À tour de rôle, chaque section désigne une équipe de six personnes pour une garde de six heures", explique un des jeunes précisant qu'il a été également procédé à la mise en place d'une commission de désinfection et une commission information et logistique. Selon notre interlocuteur, les équipes de sécurité se relaient de jour comme de nuit et veillent de la même manière au strict respect des mesures adoptées. "Aucun habitant ne peut quitter le village sans motif valable et aucun étranger, fut-il un invité, ne peut mettre les pieds au village. Pour les habitants, il y a bien sûr des exceptions pour ceux qui doivent encore se rendre au travail ou pour une tâche bien définie pour laquelle une durée est fixée d'un commun accord avec le groupe en poste", a-t-il détaillé soulignant que les habitants travaillant dans le secteur de la santé sont transportés par les moyens du village jusqu'à cette barrière puis récupérés par les moyens de la commune. Concernant les livreurs et autres commerçants, a-t-il ajouté, leurs marchandises sont déposées devant cette barrière et récupérées par les moyens du village qui sont ensuite systématiquement désinfectés. Au niveau de ce point filtrant, un registre des entrées et sorties des cas exceptionnels, avec les horaires précis pour chacun d'eux, est tenu par un des volontaires. "Une amende est appliquée à tout habitant ne respectant pas ces mesures", nous dira le jeune chargé de cette tâche. Les dons faits par les habitants sont également portés dans ce registre. "Les dons nous servent surtout pour les opérations de désinfection des places publiques du village et des entrées des habitations que nous menons chaque jour mais aussi pour les équipements de sécurité tels les gants, les bavettes, et autres effets", dit-il. Pour lui, il est vrai que ces mesures sont draconiennes et que la barre est placée très haut mais c'est le prix à payer pour préserver le village de ce virus. Quid de l'adhésion des habitants ? Selon les membres du collectif, ces mesures drastiques n'étaient pas du goût de certains, et d'autres ne croyaient pas à leur efficacité, mais au fil des jours et de l'évolution dramatique de la pandémie, même les plus récalcitrants ont fini par se rendre à l'évidence que seule la prévention peut prémunir le village d'une contamination qui peut provoquer des ravages. "Aujourd'hui, les habitants adhèrent unanimement à ce dispositif. Tout le monde s'implique. Désormais, même les enterrements et les fêtes sont gérés par les groupes de volontaires pour s'assurer du strict respect des mesures préconisées par les spécialistes", explique un de nos interlocuteurs affirmant que désormais, en ce qui concerne les personnes malades, ce sont les médecins et les infirmiers du village qui s'en occupent à domicile. À en croire nos interlocuteurs, désormais, Taourirt Mokrane ne sera pas le seul village à adopter ce confinement total puisque les villages limitrophes d'Aït Frah, d'Aït Atteli, d'Ikhlidjen et bien d'autres ont décidé de recourir à cette mesure pour se protéger. Une mesure qui s'est déjà étendue à de nombreux villages de la wilaya de Tizi Ouzou puisqu'hier,Tirourda, dans la région d'Iferhounène, et Iallalen, dans la commune d'Aït Yahia Moussa, l'ont adoptée.