Liberté : Une réduction de 30 à 50% du budget de fonctionnement est prévue dans la loi de finances complémentaire de l'actuel exercice. Cette décision est-elle en mesure, selon vous, de changer la trajectoire du déficit budgétaire prévu pour 2020, lorsque l'on sait que les recettes fiscales ordinaires et pétrolières sont appelées à se rétrécir sous l'effet, à la fois, du déclin de l'activité économique et des revenus en devises ? Mohand Touazi : Le déficit budgétaire prévu par la loi de finances était autour de 1 500 milliards (mds) de dinars, auquel il faudrait rajouter les dépenses exceptionnelles liées à la lutte contre le Covid-19 ainsi que le manque à gagner en recettes fiscales ordinaires à cause du confinement et de l'arrêt d'un pan entier de l'activité et, enfin, intégrer la baisse de la fiscalité pétrolière due au double effet de la réduction des exportations en volume et en prix. Le déficit budgétaire sera donc beaucoup plus élevé que les 1 500 milliards de dinars annoncés. Le budget de fonctionnement est autour de 5 000 mds de dinars, dont 3 000 mds représentent la masse salariale qui devrait augmenter à la suite de la décision légitime de porter le SMIC à 20 000DA. La décision (le souhait) de le réduire de 50% sans toucher aux salaires paraît très difficile à appliquer. Nous espérons en tout cas plus d'éclairage au moment de la présentation cette loi de finances complémentaire. Avec ces deux éléments, la trajectoire est malheureusement orientée vers un déficit budgétaire plus élevé. Bien entendu, un déficit budgétaire ne pose pas de problème en soi, mais ce sont les affectations budgétaires et son financement qui devraient être en débat public et démocratique. Le véritable danger ne vient-il plutôt pas du déficit de la balance des paiements qui, selon les prévisions, connaîtra une hausse importante cette année, ce qui accélérera la fonte des réserves de change ? Au même titre que la réponse à votre première question sur le déficit budgétaire, le déficit de la balance des paiements connaîtra "mécaniquement" un creusement. Les exportations ne rapporteront pas les 35 milliards de dollars de l'année 2019, mais beaucoup moins, à cause de la réduction du quota alloué à l'Algérie, en diminution et surtout de la vertigineuse chute des prix du Brent. Du côté des importations, nous n'avons pas encore vu celles qui sont à interdire et celles à réduire et combien elles représenteront dans le total. Il y a l'annonce de la réduction de 7 milliards de dollars dans l'importation des services, mais sera-t-elle sans conséquences sur la production de la valeur ajoutée locale ? Les services sont un input au même titre qu'une matière première quelconque. Il faut espérer qu'il y aura suffisamment de discernement dans les coupes dans les importations des marchandises et des services pour ne pas gripper la machine industrielle et bloquer la relance économique. Quelle issue serait possible à cette situation sans le recours aux financements de la Banque centrale et à l'endettement extérieur ? Le gouvernement a l'intention de se tourner vers l'épargne publique nationale. Espérons que la confiance est suffisamment forte pour inciter les Algériens "possédants" à acheter les titres du Trésor. Les petits épargnants sont dans une telle crise de revenus que leur nombre et leur potentiel d'épargne ont fondu comme neige au soleil à cause de toutes ces activités à l'arrêt et des conséquences, à l'instar de toutes les économies mondiales, en termes de chômage et de niveau de pauvreté, qui seront indubitablement importantes.