Liberté : Les réserves de sang baissent dans les hôpitaux depuis le début de la pandémie de Covid-19. Pourquoi, selon vous, se trouve-t-on dans cette situation ? Dr Sayah Abdelmalek : La situation actuelle est le résultat d'une certaine gestion du don de sang en Algérie. Il est vrai qu'avec la pandémie de Covid-19, les gens ne savaient pas comment réagir. Il y a eu réticence à propos du don de sang. Au début de la crise sanitaire, avant que le confinement ne soit décidé, les donneurs avaient peur de donner leur sang. C'est à ce moment-là que la pénurie a bel et bien commencé. Les réserves de sang ont connu une baisse significative. C'était à ce moment-là que la Fédération algérienne des donneurs de sang a pris ses responsabilités. Nous étions dans une situation difficile. Dans la wilaya de Bouira, nous étions les premiers à mener une collecte de sang en pleine pandémie, en solidarité avec les hôpitaux de Blida. Nous avons brisé le mur de la peur, ce qui a permis à nos associations de relancer le don de sang, notamment la collecte mobile dans plusieurs régions du pays. Nous avons pu reprendre notre rythme de travail. Il faut souligner aussi que ce n'est pas un hasard si nous nous retrouvons aujourd'hui dans une situation de pénurie. La plupart de ces associations de donneurs de sang n'ont plus de bureau. Nous avons pu en créer une trentaine qui couvrait une bonne partie du territoire national. Aujourd'hui, nous en avons perdu beaucoup. Le rôle de ces organisations est primordial dans la sensibilisation de la population sur le don de sang. Il va falloir travailler en aval, c'est-à-dire revoir le fonctionnement de ces associations de fond en comble. Le don de sang ne doit pas être un don de circonstance. L'Agence nationale du sang est aujourd'hui en train de patiner. Elle n'arrive pas à assumer sa mission. Elle n'a pas le contrôle total des structures de don de sang, lesquelles relèvent d es hôpitaux. En cette situation de pandémie, nous devrions créer une cellule de crise pour le don de sang. Il fallait l'installer et engager des experts en transfusion sanguine qui assureront le suivi et l'évolution de l'opération. Aujourd'hui, nous reculons par rapport à d'autres pays africains. Que prévoyez-vous pour garantir la disponibilité du sang dans des situations pareilles ? Il faut savoir que le donneur n'est pas un malade. On ne peut pas l'obliger à se rendre dans un hôpital. Il est une personne saine, que l'on veut recruter pour faire don de son sang et le fidéliser. Il y a l'agence qui fait les orientations en matière de don de sang, les bonnes pratiques, etc. L'hôpital, c'est le lieu de consommation de ce liquide vital. Pour que l'Agence nationale du sang soit efficace dans son rôle, elle doit être autonome. Le seul pays au monde où c'est le secteur hospitalier qui gère le don de sang, c'est bien l'Algérie. On ne peut pas régler les problèmes du don de sang en Algérie, sans restructurer l'agence. Il y avait pourtant un projet de restructuration qui consistait à restructurer l'Agence nationale, en créant des entités régionales et des centres de wilaya, puis les centres de transfusion sanguine (CTS) et les points de transfusion sanguine (PTS). On était parti dans cette politique qui visait à rendre l'agence plus autonome. Cependant, le décret exécutif publié en 2009 portant ce changement dans ce domaine n'a jamais été appliqué. C'est pourquoi, je lance un appel au Premier ministre et au ministre de la Santé, afin d'intervenir et mettre un terme à ce dysfonctionnement de l'agence qui pénalise le don de sang. Ainsi, le fait que les centres de transfusion sanguine (CTS) se trouvent à l'intérieur des hôpitaux dissuade les donneurs de s'y rendre. C'est nous qui avons besoin des donneurs, et non l'inverse. Il faut s'adapter à eux. Il est insensé d'ouvrir les CTS de 9h à 16h et les fermer les week-ends. C'est la période durant laquelle les gens peuvent donner leur sang. Les structures de transfusion sanguine doivent s'adapter aux donneurs, et non aux malades. Avec cette gestion confuse et les centres qui travaillent à leur guise, nous sommes en train de dévier de l'éthique et d'encourager le don de sang de la contrepartie. Les familles des malades se débrouillent pour trouver les donneurs afin de compenser le sang au niveau des CTS. Cela peut s'appeler du chantage. C'est un donneur qui ne sera pas fidélisé. Si cette pratique persiste, nous n'aurons pas de donneurs volontaires en Algérie. En Algérie, nous sommes dans un contexte de bénévolat et de don de sang volontaire. Pour recruter le donneur, il faut miser sur la sensibilisation. Les associations sont chargées de cette opération. Il faut que ce soit des personnes qui connaissent le domaine pour pouvoir faire la bonne promotion, et non pas d'un recrutement de circonstance. Il faut savoir aussi que la promotion peut être faite de manière négative, ce qui peut être contre-productif quant à la fidélisation des donneurs. Les donneurs boudent les centres de transfusion sanguine à cause du coronavirus, y a-t-il réellement de risque de contamination? Le monde a beaucoup évolué en matière de transfusion sanguine. La sécurisation du don de sang et la sécurité du donneur et celle du malade ont toujours été l'unique souci des organisations et des fédérations de don de sang à travers le monde. Nous ne pouvons pas agir en dehors de cette approche. Tout ce qui se fait dans ce domaine, nous le faisons avec pour objectif la sécurité totale. Nous ne pouvons pas nous permettre de sauver un malade tout en mettant en danger la vie et la santé du donneur. Je tiens à rassurer les donneurs qu'il n'y a rien à craindre. Il n'y a pas de risque. Toute l'opération est contrôlée, le sang est soumis au contrôle. L'acte en lui-même est médicalisé. Le donneur est consulté par un médecin avant toute transfusion sanguine. Pour ce qui est de cette crise sanitaire, les donneurs étaient réticents à cause de la nouveauté de la maladie que nous ne connaissions pas. Mais les experts ont confirmé qu'il n'y a aucun risque de transmission du virus par la transfusion sanguine. Donc, nous pouvons continuer à travailler le plus normalement possible, tout en respectant les mesures de prévention et les gestes barrières, comme le port de la bavette et des gants, ainsi que la distanciation sociale et le lavage régulier des mains.