Il a commencé son parcours initiatique par l'Afghanistan et l'achève dans le désert du Nord Mali. Il a réussi néanmoins, faut-il le lui reconnaître, après tant d'années d'activités terroristes, à se mettre à dos tout le peuple algérien. Ce n'est pas une perte, mais juste un sanguinaire de moins. Fin de cavale pour le sanguinaire Abou Moussab Abdelwadoud alias Abdelmalek Droukdel, émir d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) abattu par l'armée française, ce jeudi, près de Tessalit au Nord Mali. Le successeur de Hassen Hattab à la tête du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) en été 2004, devenu Aqmi après son allégeance à Al-Qaïda d'Oussama Ben Laden, et de son mentor, Aymen Ezzawahiri qu'il a eu à rencontrer en Afghanistan où il est allé combattre, contrairement à son prédécesseur, ambitionnait de donner une dimension régionale au mouvement terroriste en allant à la conquête du Sud et du Sahel. Et le mieux placé pour cette mission n'est autre que l'autre terroriste, issu lui aussi du GIA, dont une frange ayant a été rebaptisée GSPC par Hattab, Mokhtar Belmokhtar, appelé "Belaouer" (le borgne) ou encore "Mister Marlboro" pour ses activités de trafic de cigarettes. Ce natif de Ghardaïa, en parfaite connaissance de la sociologie de la sous-région sahélienne, a réussi à constituer un réseau où se mêlent terrorisme, enlèvement, contrebande et divers trafics. L'influence de Belmokhtar ou encore Abou Zeid, originaire de Debdeb, l'autre terroriste abattu en 2013, à la tête de la phalange (du GSPC) Tarik-Ibn Ziyad, qui s'est fait connaître en 2003 par l'enlèvement de touristes européens. Les deux chefs terroristes recrutaient, outre les Algériens, des éléments du Mali, du Niger, du Maroc ou encore de Mauritanie. Et deviennent les rivaux de leur chef, Abdelmalek Droudkel contraint par les coups de boutoir de l'ANP à se replier et se réfugier dans les maquis de l'Akfadou, en Kabylie alors qu'il subissait des pertes et n'arrivait pas à se procurer les armes qu'il attendait justement de ses deux envoyés au Sud et Nord Mali, une région connue pour le trafic d'armes et dont ils contrôlent des territoires. Le Sud prend alors ses distances avec le Nord. Et Droukdel semble isolé dans ses maquis du Nord sans réseau de soutien et incapable de "capter" de nouvelles recrues. La mort d'Abou Zeid ouvrira la voie de "l'émirat" à Belmokhtar pour élargir son influence et semer la terreur dans toute cette zone, agissant en bonne entente et cohabitation avec le groupe Ansar Eddine d'Iyad Ag Ghali, implanté principalement dans la région de Kidal, au Nord Mali. Et pendant que les groupes terroristes se créent et investissent la région sahélo-sahélienne, le chef d'Aqmi demeure reclus dans le Nord et en froid avec son subalterne, Belmokhtar qui tisse des alliances et fonde le groupe "les Enturbannés" qui deviendra plus tard El-Mourabitoune et un moment rebaptisé "Les signataires avec le sang". Les changements de dénominations sont légions mais le mode opératoire demeure le même : la terreur. Droukdel perd définitivement son contrôle sur Belmokhtar que des informations donnaient pour sillonner la région sans s'installer durement dans un endroit, ce qui rend sa localisation quasi impossible. Il a été donné plusieurs fois pour mort, mais il refait surface. Pourtant sa rupture avec Aqmi ne sera pas de longue durée. Les deux hommes se réconcilient. Abdelmalek Droukdel, natif de Meftah près d'Alger, ingénieur chimiste devenu artificier du GIA, fera un carnage à Alger pour marquer son retour, le 11 avril et le 11 décembre 2007, dans des attentats kamikazes qui ont ébranlé Alger. Et se voit inscrit sur la liste des terroristes de l'ONU pour ses liens avérés avec l'organisation Al-Qaïda, le 27 août 2007. Des attentats censés lui redonner l'emprise sur le groupe Aqmi scindé en deux franges aux rapports souvent tumultueux. Depuis, silence radio. On n'entend plus parler de Droudkel alors que 2012 inaugure la déstabilisation du Sahel. Hormis ses appels à s'attaquer aux intérêts français et occidentaux dans cette zone, il ne fait aucune apparition. Même la prise d'otages de Tiguentourine à In Amenas en janvier 2013 a été revendiquée par le seul groupe "Les signataires par le sang" de Belmokhtar. D'autres groupes vont encore être fondés, des alliances vont se nouer pour écumer cette fragile région livrée à la loi des terroristes. Après Aqmi, Ansar Eddine, Macina, le Mujao qui s'allient conjoncturellement, leurs rivalités demeurant intactes, est venu s'installer le groupe Etat islamique, un sérieux rival qui promet de les combattre tous s'ils ne se soumettent pas. Ce qui explique, entre autres, les rapprochements entre les groupes terroristes locaux. Quelle explication donc à la présence de Droukdel dans le Nord Mali ? Ayant perdu la bataille du Nord algérien, sans soutien de la population et à court de moyens logistiques pour poursuivre ses activités criminelles, le chef terroriste s'est résolu, dans la discrétion absolue, à aller rejoindre une région acquise et/ou sous domination des groupes terroristes, seul repaire plus ou moins sûr pour lui. À charge pour lui de s'imposer quand bien même il pouvait compter sur le soutien de son représentant dans ce vaste territoire désertique, Mokhtar Belmokhtar et ses réseaux au sein des tribus du Nord Mali. Il était donc en terrain conquis. Comme il y a le risque de résurgence de la rivalité entre les deux hommes. Un risque minime cependant devant la menace que représente l'EI pour tous les terroristes locaux affiliés à Al-Qaïda. En plus de ce groupe (EI) défait en Irak et en Syrie qui s'est redéployé dans cette région déjà suffisamment déstabilisée et où les armées nationales sont mal préparées, manque de moyens et d'efficacité, même s'ils se reconstituent et s'allient, les groupes terroristes locaux ont en face d'eux, la force onusienne (Minusma) jusque-là passive qui a appelé à adopter une posture offensive en raison des attaques qu'elle subit sans n'avoir que la possibilité de riposter pour se protéger. Et la force G5 Sahel qui se met, lentement, en place, en raison du manque de financement. Et les soldats français de l'opération Barkhane, le seul contingent à être pour l'instant efficace sans toutefois arriver à éliminer la menace dans la région. Et c'est cette force qui est à l'origine de l'élimination d'Abdemalek Droukdel, selon la ministre française des armées, Florence Parly, qui a annoncé, vendredi, sa mort ainsi que celle de ses proches collaborateurs. Selon certaines informations, non confirmées, il a été localisé grâce à un "tuyau" fourni par un habitant de la région, collaborateur des militaires français. Ainsi s'achève, sans gloire et sans aucune victoire, le parcours d'un autre sanguinaire, qui a juré de détruire le pays.