La question que d'aucuns se posent aujourd'hui est de savoir à quoi obéit cette traque, sans précédent, des activistes et le durcissement des peines, pour les personnes jugées ? Le paradoxe est saisissant : alors que les spéculations n'ont pas encore cessé sur une hypothétique libération de Samir Belarbi et Karim Tabbou après la récente sortie de Soufiane Djilali, relayant l'intention du président Abdelmadjid Tebboune, les arrestations d'activistes du mouvement populaire se multiplient à un rythme soutenu. En l'espace de trois jours, plus d'une dizaine de personnes ont été arrêtées dans divers endroits du pays par les services de sécurité, si l'on se fie aux chiffres, loin d'être exhaustifs, communiqués par le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), association de solidarité avec les prisonniers. Dimanche, trois figures connues du hirak, le journaliste Fodil Boumala, Hakim Addad, ex-président du RAJ et Zoheir Keddam, membre des "gilets oranges", ce groupe de bénévoles chargés de prévenir d'éventuels heurts entre la police et les manifestants durant les marches, ont été appréhendés à Alger. On ignore pour l'heure les motifs de leur arrestation. Mais depuis le début du confinement, ce sont plus d'une soixantaine de personnes qui ont été arrêtées, particulièrement pour des publications sur les réseaux sociaux, selon de nombreux avocats. Cette vague d'arrestations que rien ne justifie, a priori, intervient dans la foulée de l'adoption d'une série de lois dont l'amendement du code pénal, de la loi pour la lutte et la prévention de la discrimination et du discours de la haine ainsi que la loi de finances complémentaire dont des dispositions grèvent le pouvoir d'achat des ménages, comme l'augmentation des prix des carburants. Elle intervient également dans le contexte de l'entame du début du déconfinement après plus de deux mois d'une crise sanitaire qui a fortement impacté de nombreux travailleurs, de nombreuses familles et précarisé une cohorte de jeunes qui vivaient essentiellement de l'informel. Dès lors, la question que d'aucuns se posent aujourd'hui est de savoir à quoi obéit cette traque, sans précédent, des activistes et le durcissement des peines, pour les personnes jugées, comme l'ont relevé de nombreux avocats ? Le pouvoir, attaché à l'exécution de sa feuille de route entamée par la présidentielle et qui devrait se poursuivre pour le référendum sur la Constitution, avant l'organisation projetée des législatives, appréhende-t-il le retour du hirak ? D'autant que les signes d'une exacerbation de la colère, due à la fois aux arrestations, au maintien de nombreux détenus d'opinion en prison, à l'absence de signes probants de changement si l'on excepte le départ du président déchu Bouteflika, et accentués par les conséquences socio-économiques de la crise sanitaire, se multiplient à travers certaines contrées du pays. "Le pouvoir ne croit pas au changement, il refuse d'écouter le peuple. À mon avis, il procède aux arrestations pour casser le hirak. Ce n'est pas normal que tous les pays du monde se préoccupent de la lutte contre la pandémie alors que chez nous, on multiplie les arrestations", estime MeMustapha Bouchachi. Selon l'avocat, il y a une démarche politique derrière cette vague d'arrestations. "Il ne s'agit pas d'une décision d'un jeune procureur au niveau d'une localité. C'est une démarche politique. Les gens poursuivis n'ont commis aucun délit. Ils n'ont fait qu'exprimer leur opinion sur les réseaux sociaux. Même si on considère que c'est un délit, je ne vois pas les raisons de leur emprisonnement. Et puis, il y a la façon dont ils sont interpellés. On devait les convoquer d'abord. L'arrestation ne se fait que dans le cadre d'un flagrant délit, donc ce sont des interpellations en violation de la loi", observe-t-il. Si la crainte du retour du hirak, dans cette conjoncture particulière, peut certainement expliquer ce durcissement, il n'en demeure pas moins que la démarche pourrait aussi dissimuler d'autres enjeux. Sinon, comment expliquer que le président de la République n'ait pas pris des mesures d'apaisement depuis son intronisation en faveur des détenus d'opinion, lui qui dès son investiture avait "tendu la main au hirak" qu'il a affublé du vocable de "béni". Plus récemment encore, Soufiane Djillali, au terme d'une rencontre avec lui, avait assuré qu'il a "accepté d'agir, dans le cadre strict de ses prérogatives constitutionnelles et légales, et comme gage de son intention de favoriser l'apaisement et le dialogue national, pour que Karim Tabbou et Samir Belarbi retrouvent leur liberté au plus vite, au terme de la procédure présidentielle officielle". "Si le pouvoir voulait l'apaisement, la crise du coronavirus était une occasion pour lui pour s'ouvrir (...) Ce qu'ils font actuellement va motiver davantage les Algériens pour sortir. Ces arrestations ne vont apporter ni la sérénité, ni l'apaisement, ni la réconciliation entre le peuple et les institutions. Elles vont plutôt approfondir la crise, affaiblir le front intérieur et l'Etat algérien", met en garde Me Bouchachi. "S'il y a une prise de conscience, ils doivent comprendre que les Algériens d'après 22 février ne sont pas ceux d'avant le 22 février", conclut-il.