Epicentre de la contestation depuis le début du mouvement populaire en février 2019, Alger n'a pas répondu hier à l'appel. Jusque tard dans la soirée de jeudi, les interrogations se multipliaient : les Algériens allaient-ils renouer avec les manifestations de rue à l'occasion du 70e vendredi ? Accompagnées parfois de quelques appréhensions, les interrogations étaient d'autant légitimes que depuis plusieurs semaines des appels à manifester n'ont pas cessé sur les réseaux sociaux. Mais entre ceux qui étaient favorables à un retour, justifié par les dérives liberticides du régime, et ceux qui y étaient hostiles, en raison de la persistance de la pandémie de Covid19, le consensus n'était pas au rendez-vous ouvrant même la voie à la polémique. Epicentre de la contestation depuis le début du mouvement populaire en février 2019, Alger n'a pas répondu hier à l'appel. Elle offrait l'image qu'elle affichait depuis le début du confinement et de la suspension des marches en mars dernier : calme, sans un signe de frilosité. Aucun rassemblement n'a été enregistré au centre-ville même si, de crainte sans doute, un dispositif policier léger, discret par endroits, a été déployé depuis la matinée. Selon certaines sources, des barrages ont même été dressés à l'entrée d'Alger. Hormis à Tizi Ouzou, à Béjaïa et à Annaba où des marches ont été organisées, même si elles n'étaient pas imposantes et marquées par la tension, voire par quelques escarmouches entre manifestants et forces de l'ordre qui ont usé de bombes lacrymogènes, comme à Béjaïa, selon des sources locales, aucune manifestation n'a été enregistrée dans les autres wilayas du pays. Cependant, de nombreuses arrestations (plus d'une dizaine) ont été opérées au milieu des hirakistes par les services de sécurité dans plusieurs wilayas du pays dont Ouargla, Tlemcen, Oran, Annaba, Alger, Bord Bou-Arréridj, Tizi Ouzou et Béjaïa, selon le CNLD. Cette décision de surseoir à un retour dans l'immédiat traduit peut-être la crainte des Algériens face à la persistance de la crise sanitaire. Mais d'autres facteurs pourraient aussi expliquer ce renoncement : la peur pour certains de la répression et le risque de provoquer la polémique dans les rangs du hirak. Il faut dire qu'en l'absence de conditions favorables et en raison de la conjoncture, de nombreuses voix, parmi les figures respectées et influentes du hirak, ont, depuis quelques jours, multiplié les appels à la "sagesse" et mis en garde contre un retour précipité aux manifestations, une aubaine qui pourrait être exploitée par le régime pour mater davantage le mouvement, selon eux. C'est le cas, par exemple, du sociologue, Nacer Djabi. "Chaque invitation à des rassemblements durant cette situation sanitaire dangereuse ne préserve pas la popularité du mouvement, son caractère pacifique et national. Rejeté", écrit-il, laconiquement, sur son compte Facebook. Un avis partagé par l'avocat Me Mustapha Bouchachi. "Notre révolution bénie a toujours été marquée par la conscience populaire et l'unité. Donc, je pense qu'il est sage de reporter le retour du hirak jusqu'à ce que les conditions sanitaires soient réunies. Se précipiter pour déterminer la date du retour des marches peut diviser nos rangs et nuire à notre mouvement pacifique. La Révolution du 22 février est un patrimoine commun. Il est de notre devoir à tous de le préserver. Cela commande que nous écoutions les médecins et autres spécialistes avant de prendre toute décision concernant la question de la reprise des marches. Le hirak est une idée, et l'idée ne meurt jamais", soutient-il. "Reporter le retour du mouvement jusqu'à ce que les conditions sanitaires soient réunies procède de la raison et de la sagesse. Serrer les rangs autour d'une décision unifiée est un facteur de force et évite la division. Le mouvement n'a pas besoin de facteurs qui encouragent la discorde et les scissions entre ses acteurs. Plus que jamais, nous avons besoin de parler d'une même voix autour d'une décision unifiée (...) pour le bien d'un pays uni", plaide, pour sa part, Abdelghani Badi, autre figure en vue du hirak. Quant à Saïd Salhi, vice-président de la Laddh, il met en garde contre la dispersion du mouvement qui ne manquera, pas à ses yeux, de profiter au régime. "Le retour en rangs dispersés aux marches pacifiques de vendredi (sans l'adhésion massive de la population, de la majorité des activistes et des wilayas), est une opportunité de plus que le régime saisira pour affaiblir le hirak, en arrêtant le maximum d'activistes et en accentuant les divisions en son sein", estime-t-il. "La trêve sanitaire décrétée par le hirak national, volontairement et de manière consensuelle, que le pouvoir a exploitée pour s'attaquer aux libertés et aux activistes, devra être levée de la même manière dès l'amélioration des conditions sanitaires et le déconfinement à l'échelle de toutes les wilayas", dit-il encore. Pour lui, "le hirak populaire national a besoin de tous ses activistes et forces, toutes sensibilités confondues, pour revenir plus fort et en rangs serrés (...)". Il a enfin appelé à la "vigilance". Il faut souligner que le Pacte de l'alternative démocratique (PAD) a appelé à ne pas reprendre les marches jusqu'à la fin de la crise sanitaire.