Entre autres personnages auxquels le récent carrefour culturel d'Aït Boumehdi a été dédié au troubadour Amrous Hamama, que l'on interpelle affectueusement Rouli pour son don inné de bien manier et rouler le bendir. Elle a tiré sa révérence au tout début du mois de février de l'année dernière, en plein Aïd El Adha, gâchant aux siens, la gaieté et la liesse que procure pareille fête, à l'âge de 75 ans, au bout d'une assez longue maladie, le diabète, qui l'avait clouée au lit les trois dernières années de son existence. Jusque-là, presque pas une cérémonie de mariage, de circoncision ou autre organisée au village d'Aït Boumehdi, mais aussi dans les villages voisins, ne pouvait se faire sans la présence de cette animatrice attitrée. Une fête sans Rouli, ce qui arrivait rarement, c'était comme cette soupe sans ce grain de sel, témoigne Nna Messaouda, une animatrice de talent du village voisin d'Agouni-Fourrou et néanmoins amie d'enfance de l'artiste, sur son lit qu'elle ne quitte pas depuis des années en raison d'une maladie chronique. De ses mains magiques, elle maniait avec une rare dextérité son bendir, une parfaite maîtrise de l'instrument qui lui a valu d'ailleurs le sobriquet de Rouli, par lequel ses concitoyens l'interpellaient affectueusement, accompagnant vers et airs puisés de notre patrimoine ancestral. Elle mettait chaque fois les convives du jour dans une ambiance bien propre à nous, que même l'intrusion du disque-jockey ne procure pas. Elle avait aussi cette faculté de mener le bal en assurant l'animation de main de maîtresse. Pas une convive, dit-on, n'osait rouspéter à ses directives, elle qui s'imposait en plus par son imposante carrure qui dégageait une autorité morale et son impartialité dans les remarques désobligeantes pour des femmes et des jeunes filles trop soucieuses de ne pas subir des remontrances publiques de cette femme de fer. Et les villageois lui rendaient à merveille la monnaie en lui prêtant l'assistance requise, elle qui n'a subsisté que grâce à l'altruisme légendaire de ces montagnards que l'individualisme ambiant n'a pu ébranler dans leur mode de vie communautaire. N'ayant pas laissé de descendance pour ne s'être jamais mariée, Rouli a légué toute une œuvre malheureusement orale, comme l'est la presque totalité de notre patrimoine, qu'il va falloir un jour collecter et compiler pour les besoins de sa sauvegarde et sa transmission aux générations futures. Une mission qu'une jeune fille du village, Djamila Kéchout, photographe et caméraman de métier, a entamée en mettant sur CD une partie d'une des nombreuses fêtes animées par la défunte et qu'un villageois a eu l'ingénieuse idée d'enregistrer. Aussi, comme hommage symbolique, ne lui a-t-on pas dédié la première édition du carrefour culturel que l'association culturelle et le comité du village ont tout récemment et brillamment organisé. Aussi bien durant la veillée funèbre qu'au cours de son enterrement à Agouni-Guighil, beaucoup de villageois ont tenu à témoigner leur reconnaissance à l'artiste Hamama Amrous, et en tenant à sa dernière volonté, celle, dit-on, de l'accompagner à son éternelle demeure en reprenant nombre de ses airs qu'elle aimait tant entonner de son vivant. Assirem K.