Très jalousées par leurs voisines algériennes et marocaines, les Tunisiennes ne sont guère mieux loties. Les exemplaires du livre relatant leurs expériences et qui devaient constituer, jeudi à l'hôtel Aurassi, le support du débat des centres d'écoute maghrébins des femmes victimes de la violence sont restés bloqués à l'aéroport Houari-Boumediene. Prétextant l'aval du ministère de la Culture et de la Communication, les services de la police et des douanes ont refusé leur sortie de l'enceinte aéroportuaire. Pis, le séminaire qui devait faire le bilan de près d'une décennie de combat féminin s'est trouvé pénalisé par l'absence des Marocaines qui n'ont pas pu obtenir de visas d'entrée en Algérie. Vaille que vaille, les organisatrices de l'association SOS-Femmes en détresse ont néanmoins tenu à ce que la manifestation se déroule comme prévu. Cette dernière était d'une grande opportunité, d'autant qu'elle a permis aux Tunisiennes, les favorites du Maghreb, de lever le voile sur une oppression insoupçonnée de leurs concitoyennes. Avocate et présidente du centre d'assistance juridique et d'entraide pour les femmes en détresse dans son pays, Mme Bochra Belhadj H'mida a étonné l'assistance en révélant qu'en dépit de lois très modernistes, les Tunisiennes victimes d'actes de violence, ne sont guère mieux loties que leurs voisines. “C'est très bien d'avoir des lois. On nous jalouse pour ça. Mais les possibilités de les appliquer sont infimes”, a-t-elle confié. Pour étayer son propos, l'oratrice citera le cas de cette infirmière d'un hôpital de Tunis, licenciée et malmenée pour avoir porté plainte contre le directeur de l'établissement pour une affaire de harcèlement sexuel. “Le jour du procès, une cinquantaine de policiers en civil appartenant à la fameuse sécurité politique nous attendaient devant le tribunal pour nous intimider. Ils nous ont insultées en nous traitant d'agents de l'étranger et de p…”, a affirmé Mme Belhadj. Déplorant l'absence de voies de recours contre les institutions et les personnes, influentes notamment, elle dénoncera surtout le rôle d'étouffoir que jouent les relais du régime, en dissuadant les femmes de crier leur détresse, en sollicitant l'aide du mouvement associatif. “Le message est sans appel : si vous vous faites “tenir” par des femmes démocrates, vous êtes des opposantes au pouvoir, donc des traîtres à la patrie”, a expliquée l'invitée tunisienne. Sa compatriote et camarade de l'association, Mme Moufida Belghis a parlé d'un programme d'interventions, envoyé aux autorités, mais resté sans écho. À ce titre et face à l'indifférence du pouvoir, elle a plaidé la nécessité d'instaurer un système de vigilance afin de protéger les lois existantes. “Certes, les mots d'ordre sont à l'avant-garde mais, compte tenu de la pratique dont on en fait, ils menacent de disparaître soit sous l'impulsion des islamistes ou du parti au pouvoir”, a-t-elle prévenu. Du côté algérien, l'absence encore aujourd'hui d'un dispositif juridique qui puisse prémunir les femmes des actes de violence et de discrimination constitue l'essentiel du combat féminin. Intervenant au nom de l'association SOS-Femmes en détresse, sa présidente, Mme Bellala, a fait l'historique de cette institution qui constitue, depuis dix ans, le récipiendaire de l'injustice sociale. Exacerbée par un code de la famille qui fait offense au droit humain, en ôtant à la femme la possibilité de prendre en main son propre destin, ce texte a provoqué de nombreux drames, soulignera l'initiatrice de la rencontre. Elle en veut pour preuve que le centre d'écoute psychologique et juridique de son association enregistre régulièrement des appels anonymes et désespérés de femmes battues, violées, répudiées, victimes de harcèlement ou même d'inceste, et qui n'ont aucune autre voie de recours. S. L.