confronté à la gestion et aux risques de la pandémie de Covid-19, le personnel soignant fait face à la multiplication des agressions. Les syndicats appellent à plus de protection, tandis que les autorités ont annoncé les premières mesures. Une information faisant état de la fuite, mardi en début d'après-midi, par la fenêtre de son bureau, du directeur de l'hôpital de Bouira a fait le tour de la Toile. Confirmés par la Direction de la santé de la wilaya, les faits ont jeté l'émoi sur un personnel de santé qui se plaint déjà du manque de moyens et de la pression qu'il subit dans la gestion de l'épidémie de Covid-19. C'est un acte de trop, surtout que quelques heures auparavant, les réseaux sociaux "pullulaient" de faits similaires : un médecin qui raconte une agression à Oran, une clinique totalement saccagée à Boussaâda, dans la wilaya de M'sila, et d'autres actes dans d'autres régions du pays. "Nous sommes ici à l'hôpital depuis cinq mois à lutter contre la pandémie de Covid-19. Nous voulons être protégés pour soigner les citoyens. Nous avons toujours réclamé la sécurité dans cet établissement", a témoigné un paramédical, cité dans notre édition d'hier. Dans la majorité des situations, médecins et infirmiers font face à des familles qui cherchent à tout prix à récupérer des corps de proches dont le décès est souvent associé à la pandémie de Covid-19. Face aux hospitaliers qui veillent au respect des protocoles nécessaires, les proches s'impatientent, et ça dérape. C'est ce qui s'est passé à l'hôpital de Bouira et visiblement à M'sila. "Les agressions contre le personnel hospitalier ont toujours existé. Mais la situation est en train d'empirer à la faveur de cette situation épidémique. Déjà à bout de souffle, les fonctionnaires sont malmenés. Ils travaillent sous pression, ils manquent de moyens, sont interdits de congé, depuis le mois de février, et ils sont loin de leurs proches. En plus de cela, il y a la crainte de tomber malade : nous avons recensé, jusque-là, plus de 2 000 cas d'employés de la santé qui sont infectés et une quarantaine de décès. Des conditions difficiles auxquelles vient se greffer le phénomène des agressions", indique, en effet, Lyès Merabet, secrétaire général du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP). Pour les professionnels de santé, ces faits révélés par la presse et les réseaux sociaux ne sont donc pas vraiment nouveaux. Lyès Merabet rappelle que le SNPSP a commencé à tirer la sonnette d'alarme depuis au moins 2012. "La protection des personnels de santé est une revendication qui date de 2012. Nous avons soulevé la question avec Djamel Ould-Abbès puis avec Abdelmalek Boudiaf, et nous avons continué avec Mokhtar Hasbellaoui, Mohamed Miraoui et maintenant avec l'actuel ministre. Nous avons donc posé la question à cinq ministres. Et cela continue." Mais pour le médecin et syndicaliste, le phénomène a pris de l'ampleur. "À l'époque, ça commençait à peine", raconte Merabet. "C'était d'abord dans les grandes villes, les grands quartiers, puis cela s'est généralisé. Nous enregistrons quotidiennement des agressions sur le personnel, des destructions de structures de santé. Plus grave encore, on casse du matériel, y compris des ambulances." Pour notre interlocuteur, cela est devenu, au fil du temps, un phénomène de société. Si les autorités n'ont pas vraiment pris au sérieux le phénomène, les chiffres sont effarants. En 2019, le ministère de la Santé avait enregistré quelque 29 000 agressions sur les praticiens de la santé sur le territoire national. Dans un décompte fait sur 6 mois en 2015, le SNPSP avait enregistré 2 500 plaintes pour agression. "Il ne faut pas oublier que les femmes constituent plus de 80% du personnel de santé. Elles sont donc les premières victimes des agressions", se désole Lyès Merabet, qui rappelle que "cela n'est pourtant pas conforme à nos traditions qui sacralisent la femme". Les premières décisions tombent Devant la gravité de la situation, le gouvernement a annoncé les premières mesures pour lutter contre les agressions que subit le personnel de santé. Devant la multiplication des cas d'agression contre le personnel hospitalier, "(...) le président de la République a décidé de consolider et de renforcer, par un texte de loi, le dispositif de protection de tout le personnel médical, paramédical et administratif, en sus de celle déjà consacrée par les lois de la République", a indiqué, mardi en fin de journée, un communiqué du gouvernement. Ce dispositif vise à "prémunir le corps médical de toute agression ou violence, quels qu'en soient la forme, le moyen ou l'auteur, dans l'enceinte des hôpitaux et autres structures et établissements sanitaires à travers tout le territoire national, pendant l'exercice de leur noble mission au service de la nation", précise encore le document, qui demande aux services de sécurité et à la justice "l'application stricte de la loi et la mise en œuvre immédiate des sanctions les plus sévères à l'encontre des auteurs de ces violations". Le même jour, le ministre de la Justice a instruit les procureurs de la République à l'effet de "les sensibiliser quant à la gravité de ce phénomène, d'une part, et de les appeler à y faire face avec la fermeté requise par la conjoncture sanitaire que traverse le pays, d'autre part", a indiqué un communiqué du garde des Sceaux. Plus ferme encore, "la note a porté sur des instructions quant à la nécessité de recourir d'office à l'arrestation des individus qui commettent de tels actes et à appliquer à leur encontre les procédures de garde à vue, dans le but de les présenter devant le procureur de la République, tout en présentant des réquisitoires fermes, soit devant les juges d'instruction ou les juridictions compétentes et de faire appel des jugements et verdicts contraires à ces réquisitoires". Le gouvernement profite de l'occasion pour dénoncer la diffusion d'images sur les réseaux sociaux qui sont des "(...) actes inadmissibles dont la finalité est de porter atteinte à la sécurité et à l'intégrité des personnes et des biens publics". Pour les professionnels de la santé, ces annonces sont "bonnes" mais "insuffisantes". Pour Lyès Merabet, ces mesures doivent être suivies par d'autres. Il s'agit de "recruter des agents formés" pour l'accueil et la sécurité, de "donner la possibilité financière aux hôpitaux", afin de signer des conventions avec des sociétés de gardiennage. Parce que selon le médecin, l'une des raisons de ces agressions est liée aux mauvaises conditions d'accueil des citoyens dans les établissements de santé, à cause du "manque de formation des personnels et des mauvaises conditions de travail". Il préconise également de "travailler sur l'axe de la pédagogie en sensibilisant les citoyens sur le respect du personnel de santé". Il propose, également, la pose de caméras à l'entrée des établissements et dans les parkings "où il y a des agressions". Ali Boukhlef