Dans cet entretien, Djalil Lounnas, enseignant universitaire au Maroc, revient sur le cessez-le-feu annoncé par les parties rivales libyennes et analyse les origines de cet accord historique. Liberté : L'accord sur un cessez-le feu en Libye avec l'organisation d'élections de la présidentielle en mars prochain a surpris plus d'un, après des semaines de tensions et le risque d'une bataille périlleuse à Syrte. Qu'est-ce qui a poussé à cette entente historique ? Djalil Lounnas : Le déroulé des événements ces dernières semaines, avec une stabilisation des lignes autour de Syrte et de Djofra entre les deux parties rivales — GNA et armée nationale libyenne —, annonçait déjà, me semble-t-il, une éventuelle entente. Les signes avant-coureurs de cet accord ne manquaient pas. Et sur ce plan, il n'est aucun doute que la crainte d'une confrontation directe entre les rivaux, avec les conséquences désastreuses qui pouvaient en découler, a fait que les pressions internationales s'accentuent davantage sur tous les belligérants libyens, mais aussi sur les soutiens étrangers directs des deux parties libyennes : Egypte, Emirats arabes unis, Russie et Turquie. Avec Le Caire qui s'est montré très sérieux ces dernières semaines, en menaçant d'une intervention militaire directe si le GNA, soutenu par Ankara, franchissait les lignes de Syrte et de Djofra, les tensions se sont exacerbées et les risques d'un débordement qui mêlerait les puissances régionales sont devenues de plus en plus sérieuses. Il fallait, à un moment donné, arrêter tout ça et remettre un peu d'ordre. Tous ces éléments ont conduit à une sorte de stabilisation et annonçaient des futures négociations entre les rivaux directs et les acteurs impliqués dans cette poudrière qu'est la Libye. La voie diplomatique a fini par payer ? Pas que ça. Washington a joué un rôle important au niveau diplomatique, avec, ces dernières semaines, des pressions soutenues sur la Turquie, les Emirats arabes unis, l'Egypte et la Russie, obligés de trouver un accord formel et éviter l'escalade. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que l'intervention turque a été décisive en Libye. Avant cette intervention, il y a quelques mois, le GNA de Fayez al-Sarraj était très affaibli et Tripoli, sa base, sur le point de tomber entre les mains de Khalifa Haftar. Erdogan a permis au GNA de se redéployer sur le terrain militaire et de reprendre l'ascendant sur Khalifa Haftar jusqu'à lui faire subir plusieurs défaites et le pousser à la déroute totale. Ce n'est pas du tout négligeable, car c'est ce qui a permis en grande partie à Fayez al-Sarraj de négocier un cessez-le-feu en position de force. L'accord d'entente entre les deux parties signe-t-il aujourd'hui la fin de Haftar ? Tout le monde a remarqué, sans doute, l'absence de son nom ces dernières semaines des communiqués officiels et des discussions au niveau international. Le nom de Khalifa Haftar est associé au désastre libyen ces dernières années. Il a été la source du problème. Il aurait été dès lors extrêmement difficile qu'il fasse partie de la solution comme dans cette entente entre les belligérants. Est-ce qu'il a été lâché ? Une chose est certaine, avec ses multiples déroutes militaires face au GNA, il a beaucoup perdu en crédibilité. Il y a au plan international un accord tacite pour se séparer de lui et trouver en la personne d'Aguila Salah, le président du Parlement de Tobrouk, une figure plus modérée et consensuelle en Libye et à l'étranger. Quelles sont les chances d'un aboutissement de cet accord avec l'application de toutes ses recommandations ? Aucune partie n'a intérêt à reprendre les combats dans la situation actuelle. Je pense que le cessez-le-feu se concrétisera durablement. En revanche, en ce qui concerne les élections présidentielle et parlementaires, dont la tenue est prévue pour mars prochain, comme cela a été annoncé, les choses sont, de mon point de vue, plus compliquées. Les élections sont une lutte pour le pouvoir. Or, dans l'état actuel des choses, avec les tiraillements tribaux qui se sont aggravés durant près d'une décennie de conflit déchirant, il sera difficile, d'une part, de convaincre toutes les parties de faire des concessions et d'autre part, de trouver des figures représentatives et légitimes aux yeux de la population. Les élections signifient des engagements sur le long terme avec pour objectif de tout reconstruire sur des bases solides. Cela nécessite un travail commun impliquant toutes les parties. Je doute que les belligérants puissent trouver d'ici à mars une formule qui les unisse pour l'organisation de ces élections. C'est un travail qui doit se faire en profondeur et cela nécessite forcément beaucoup de temps.