Des centaines de citoyens ont scandé des slogans hostiles au pouvoir puis ont mis en pièces banderoles et portraits dans les tribunes. Le Président, dans un discours très bref, n'a fait aucune annonce, notamment sur la question de tamazight. Contrairement aux précédents meetings de Abdelaziz Bouteflika, celui animé, hier, au stade du 1er-Novembre a été sérieusement perturbé par des centaines de citoyens de Tizi Ouzou. Cantonnés d'abord à l'extérieur du stade, ils ont pu forcer le cordon sécuritaire et défoncer le portail pour accéder ensuite à une partie des tribunes. Et tout le long du discours présidentiel, des slogans hostiles au pouvoir central genre “Pouvoir assassin”, “Ulac smah ulac”, “Imazighen, Imazighen”, etc., n'ont cessé d'être scandés à gorge déployée au point d'étouffer les hourras et les applaudissements de l'assistance, composée essentiellement des citoyens de Bouira et de Boumerdès et à un degré moindre ceux de Tizi Ouzou et de Béjaïa. D'ailleurs, seuls les noms des wilayas de Bouira et de Boumerdès, quand ils sont cités par Bouteflika, ont suscité un tonnerre d'applaudissements. Une émeute… en plein stade Ne bronchant point, le président de la République continuera imperturbablement son speech. Il a même essayé de calmer l'ire des frondeurs en jouant sur le registre du passé hautement révolutionnaire de la région, s'écriant : “Cette région a donné des contingents et des contingents de chouhada. Aujourd'hui, je suis l'hôte de Krim Belkacem, d'Amirouche, de Mohand Oulhadj, des commandants Yazouren, H'mimi et Mira, de Mohammedi Saïd…” Mais rien n'y fit. Bien plus, ils envahiront carrément les autres parties de la tribune en arrachant violemment les banderoles accrochées (l'une d'elles annonce triomphalement “La Kabylie et la JSK souhaitent la bienvenue au président de la République”) pour les brûler ensuite. Les portraits du Président subiront le même sort. Même l'assistance, qui a été confinée sur la pelouse, en a eu pour son grade. Elle est tout bonnement prise à partie sous le déluge des morceaux de bois. Toutefois, il n'y eut point d'échauffourées. Pas d'officialisation de tamazight Pour ce qui est du discours prononcé par Abdelaziz Bouteflika, il n'est pratiquement marqué par aucun fait nouveau. Sauf peut-être sur la question de l'officialisation de tamazight promise, pourtant, par le Chef du gouvernement Ahmed Ouyahia aux dialoguistes menés par Belaïd Abrika. Le Président a laissé entendre que ce statut de langue officielle pour tamazight n'est pas pour demain. C'est vrai qu'il s'est écrié à trois reprises : “Nous sommes des Berbères.” Mais atténué par un “des Amazighs arabisés par l'Islam”. Il est tout aussi vrai qu'il a paraphrasé Benbadis en reprenant à son compte son fameux slogan, mais en y incluant le berbère comme étant sa langue : “L'Algérie est ma patrie, l'arabe et tamazight sont mes langues, l'Islam ma religion.” Mais il a tout de même glissé dans son discours cette phrase : “Ethniquement, nous sommes tous des Berbères. Mais l'arabe s'est imposé par son statut de langue du Coran.” Tout comme il a rappelé d'avoir été le seul à pouvoir octroyer le statut de langue nationale à tamazight. “Personne auparavant n'a eu l'audace de le faire. Je savais très bien que si j'ai soumis la question au peuple par le biais d'un référendum, il aurait alors refusé. Mais nous avons trouvé d'autres moyens pour le faire.” Bouteflika a aussi dénié aux partis implantés dans la région toute paternité sur cette question. “Tamazight n'est pas la chasse gardée d'un parti politique ou d'une personne”, fera-t-il remarquer. “Cassez votre barrière psychologique !” Abdelaziz Bouteflika mettant en relief les particularismes de la région a recommandé à ses habitants de sortir de leur cocon : “Les Algériens vous souhaitent la bienvenue, hommes et femmes. Il faut casser le handicap psychologique. Sachez que l'Algérie ne se limite pas au village, à Tizi Ouzou, Béjaïa, Bouira ou Boumerdès. Toute l'Algérie est votre pays. Il faut casser cette barrière psychologique.” Et de leur conseiller d'opposer des “arguments et non des cris pour convaincre. Nous sommes pour une démocratie réelle. Le pluralisme politique et médiatique est irréversible même si quelquefois certains écrits vont à l'encontre de l'intérêt national. Vous êtes la seule région du pays où les ambassadeurs étrangers passent leur temps à faire des va-et-vient. Pourquoi ?” s'est-il exclamé. Parlant de la signature du traité d'amitié avec la France, Bouteflika l'a subordonné à la reconnaissance des crimes coloniaux. “Dès l'Indépendance, nous étions les premiers à chanter à l'unisson l'hymne de la coopération. Il est tout à fait clair que, pour peu que la France reconnaisse sa responsabilité dans les dégâts coloniaux, nous sommes prêts à signer un traité de paix définitive avec la France. Nous avions vécu 15 ans de solitude complète et totale. Nous avons appris à mettre l'Algérie avant tout.” Sur le registre du développement local, Abdelaziz Bouteflika a signifié que la Kabylie a accusé, ces trois dernières années, un grand retard. “Il y a beaucoup d'argent qui dort et peu de projets sont réalisés. Vous êtes en retard par rapport aux autres régions du pays. Certes, le terrorisme a été pour beaucoup. Mais il faut reconnaître que les évènements vécus par cette région sont aussi pour quelque chose. Il faut sortir de cette spirale. Mais comment voulez-vous construire sans la paix et la sécurité ? Le pays ne se construit pas avec la protestation, les slogans ou les perturbateurs. Mais avec ses fils et ses filles, avec le travail.” Et de promettre que tous les problèmes (chômage, logements…) seront réglés. Bien plus, il a promis l'Algérie pour un statut de “dragon de l'Afrique et même des pays en voie de développement” dans… une dizaine d'années. Parlant de son projet de réconciliation nationale, Abdelaziz Bouteflika a soutenu : “En 1999, je savais parfaitement que la concorde civile ne réglerait pas tous les problèmes. Mais c'était un vaccin nécessaire et suffisant. Ce vaccin a besoin aujourd'hui de rappel. Il s'appelle réconciliation nationale.” Et d'ajouter : “C'est la seule alternative. Il n'y a pas d'autres solutions. 15 ans de crise barakat ! Que cesse l'effusion de sang.” Un défi aux opposants à la charte Aussi, il n'a pas manqué d'égratigner les opposants à sa charte. “Celui qui n'est pas d'accord avec la charte qu'il vienne se mesurer à nous pendant les élections. Et que le plus fort l'emporte ! Ce n'est pas une partie de dame ou de jeux d'échecs. C'est le destin de l'Algérie qui est en jeu.” Avant de leur signifier : “J'ai lu ce qui s'écrit sur la charte. Pas de critiques concernant le texte. Tout le monde s'y retrouve.” Et d'inviter les citoyens à ne pas voter pour sa personne, mais pour ce qu'il a réalisé depuis son accession au pouvoir. A. C.