Vernissage haut en couleur (au propre comme au figuré) ce jeudi au CCF d'une expo collective : “Des rives : Lyon-Corbas-Alger”. Trois villes qui ont vu leur destin tressé par seize mains. Seize mains. Huit artistes. Huit noms croisés : Ammar Bouras, Gérard Mathie, Rachida Azdaou, Sylvie Margot, Noureddine Ferroukhi, Fabien Martinand, Hachemi Mokrane, Claude Couffin. Huit styles. Huit regards. Seize“œils”. Seize mille teints, tons, tourments, tonnerres. “Des rives de la Méditerranée à celles du Rhône et de la Saône, l'eau a beaucoup coulé et cela continue. Rives que quatre artistes algérois et quatre artistes lyonnais vont franchir, chacun dans les deux sens pour se rencontrer, dialoguer, échanger, vivre…”, écrit Stani Chain, Commissaire général de l'exposition. Veillant au grain, Stani parlera d'un “lien amoureux entre deux villes unies par l'humour”. L'expo, il faut le dire, est un régal en termes de créativité. Une expo où le ludisme le dispute à une certaine provocation (intelligente). Une franche ironie sourde des cimaises à l'image de ces bonbons géants signés Sylvie Margot qui font pendant au couscoussier parabolique de Hachemi Mokrane en passant par la boîte à tendresse de Noureddine Ferroukhi. Il y a aussi ces projos bizarres, relookés par les soins de Claude Couffin (à propos de qui Youcef Sayeh écrira : “Couffin, c'est Lautréamont en lumière”). Des projos avec des mécanismes rigolos qui font intervenir des marionnettes, des revolvers, de l'anti-Bond, tout un cinéma loufoque. Ou encore ce Jésus crucifié sur une paire de ciseaux. Le monde de Gérard Mathie, lui, en revanche, est empreint d'un certain gothisme. Autour du thème de l'invasion des poils, Gérard Mathie nous dépeint un monde “velu” où il fait peau de tout poil. Un univers où l'élégance du noir ne va pas sans quelques vieilles frayeurs métaphysiques. Voilà qui tranche net avec les couleurs vives et joyeuses d'un Fabien Martinand et ses moustaches en croc qui lui donnent quelque chose de pittoresque. Comme le souligne avec pertinence l'inénarrable Améziane Ferhani, Martinand nous plonge “dans les parages astronomiques du Petit Prince”. Rachida Azdaou, la benjamine de ce collectif, sort de son atelier de l'église du Sacré-Cœur avec des visages. Une galerie de visages plaqués sur des tissus écorchés, et qui portent les rides de l'histoire et les douleurs de la mémoire. “Des portraits d'absents dans des lieux vides de leurs souvenirs. Pas d'hommage à rendre ! Pas de deuil à faire ! Je suis debout à leur côté, nous scrutons l'horizon”, martèle l'artiste. Travail de mémoire aussi avec Ammar Bouras qui aborde un thème grave : la torture pendant la guerre d'Algérie. Notre as de la “technopeinture” nous sert un émouvant montage d'images terrifiantes, le tout rehaussé d'un poème terrible signé Bachir Hadj Ali : “[…] Je jure sur la colère qui embellit nos femmes / Je jure sur l'amitié vécue, les amours différés / Je jure sur la haine et la foi qui entretiennent la flamme / Que nous n'avons pas de haine contre le peuple français”. (Serment, Alger, 15 décembre 1960). L'expo se prolonge jusqu'au 5 octobre. À voir !! M. B.