Liberté : Le taux d'inflation moyen annuel en Algérie est estimé à 2% actuellement. Cette photographie reflète-t-elle la réalité des prix à la consommation ? Mohamed Achir : La mesure de l'Indice des prix à la consommation (IPC) a souvent suscité des questionnements dans les pays développés ou en voie de développement surtout concernant les procédures ou principes sur lesquels est basé son calcul. En tout cas, il y a des standards internationaux concernant les procédures de calcul et qui s'efforcent d'intégrer des variables très complexes et difficiles en fonction de la réalité économique de chaque pays et même ses échanges commerciaux avec le reste du monde. Mais pour le cas algérien, la vérité des prix et les subventions importantes directes et indirectes dont bénéficient plusieurs produits et services ne peuvent que rendre problématique la pertinence, voire la justesse de l'IPC. C'est pourquoi, il faudrait remettre en question la méthode, l'échantillonnage et la représentativité de la zone territoriale (Grand-Alger et territoire national) qui constituent la base référentielle de calcul de l'indice par l'Office national des statistiques (ONS). Autrement dit, la qualité des statistiques utilisées, la représentativité et le choix des produits du panier, les produits subventionnés (céréales, huiles alimentaires, sucre, etc.) et l'exclusion de certains services dans le panier. L'amélioration de la fiabilité des statistiques, en général, et de l'indice des prix à la consommation, en particulier, est plus que nécessaire pour construire des prévisions et des politiques sur un tableau de bord performant. Le taux d'inflation, en l'occurrence, est un indicateur censé donner des signaux importants pour l'orientation de la politique économique d'un pays, notamment la politique budgétaire et monétaire. Le projet de loi de finances 2021 prévoit une accélération de l'inflation dès l'année prochaine. Quelles en sont les principales causes ? Cela peut être expliqué en fonction des différents indicateurs macroéconomiques prévisionnels, de la tendance et de l'évolution de l'économie réelle du pays et de l'orientation de la politique budgétaire et monétaire dans le cadre de cette crise qui affecte sensiblement les comptes publics. Faut-il prévoir une nouvelle politique d'expansion monétaire pour faire face notamment à la crise des liquidités bancaires ? La faiblesse du niveau de création monétaire et des liquidités bancaires, le recul de la demande globale des ménages et des crédits aux entreprises ont contribué partiellement à stabiliser le taux d'inflation durant cette année. L'arbitrage est très difficile à faire, en tout cas, avec la baisse des liquidités et des avoirs nets extérieurs et intérieurs. Le gouvernement ne dispose pas suffisamment de marge de manœuvre avec ces contraintes budgétaires et monétaires structurelles, d'autant plus que le recours au financement non conventionnel est exclu par le président de la République. La politique d'expansion monétaire ne peut également compter sur une titrisation de la dette publique et le financement monétaire du déficit, étant donné la situation du marché qui n'est pas actif. Dans quelle mesure la dévaluation annoncée du dinar risque-t-elle de contribuer à l'accélération de l'inflation ? Le taux de change du dinar algérien devrait enregistrer une accélération de son glissement par rapport au dollar américain, notamment, et qui passerait, selon le projet de loi de finances, à 142,20 DA/USD en 2021, 149,31 DA/USD en 2022 et 156,78 DA/USD en 2023. Cette perte importante de la valeur du dinar par rapport aux devises étrangères ne serait pas sans conséquences sur l'augmentation de l'inflation, en l'occurrence l'indice national des valeurs unitaires (IVU) des biens alimentaires importés, les biens de consommation à fort contenu d'import, le prix des intrants de la production industrielle... En effet, l'impact de la dévaluation du dinar sera prépondérant même si dans le même projet, on prévoit une baisse de l'importation des marchandises d'un taux de -14,4% de la valeur courante en 2021 par rapport à la clôture 2020, soit 28,21 milliards de dollars. Les conséquences désastreuses de la crise sanitaire sur les entreprises et la production domestique ne permettront pas une reprise rapide de l'offre globale nationale en 2021. D'ailleurs, même les agriculteurs dans certaines filières ont subi des pertes importantes durant cette année à cause de la baisse de la consommation et des problèmes liés à la distribution et à l'organisation des marchés. Cela affecte leur motivation et la capacité de relancer leurs investissements. Par ailleurs, l'effet de compensation escompté par la dévaluation et l'effet de compétitivité-prix, c'est-à-dire un dinar faible qui produirait un avantage prix à l'exportation, sera sans impact majeur étant donné la faiblesse structurelle de la majorité des entreprises locales dans leur organisation et leur faible insertion dans la chaîne de valeurs mondiale.