Ce premier long métrage d'Amine Hattou a été sélectionné dans des festivals internationaux et projeté en avant-première en octobre à l'IFA. Dans cette œuvre émouvante, le réalisateur revient sur ce film culte à travers le regard d'une jeunesse rêveuse en quête d'amour, qui a connu la déchirure durant la décennie noire. Le titre Aa Gale Lag Jaa du réalisateur Manmohan Desai n'évoque rien pour beaucoup de cinéphiles ! Pourtant, ce film sorti en 1973 est devenu culte en Algérie. Qui ne connaît pas Janitou, qui n'a pas fredonné la chanson et pleuré à chaudes larmes ? Peut-être la nouvelle génération en a vaguement entendu parler par ses parents, mais les trentenaires et plus sont toujours marqués par ce petit garçon si attachant et bouleversant. Pour faire renaître cette époque qui semble si lointaine, dans une Algérie d'avant la décennie noire où les salles de cinéma étaient ouvertes et les gens se bousculaient pour regarder des films bollywoodiens, le réalisateur Amine Hattou a fait ressusciter de vieux souvenirs sur un pan de notre histoire, celui des années 80-90. Sélectionnée au festival italien Asolo Art Film et au festival de Durban (Afrique du Sud), cette production d'une heure vingt minutes a été projetée en avant-première en octobre à l'Institut français d'Alger (IFA). Après son premier court métrage Les pieds sur terre (2011), Hattou revient avec ce premier long métrage documentaire, qui aborde une thématique fort intéressante et atypique dans notre cinéma. Intitulé Janitou, le film s'ouvre sur le réalisateur en compagnie de sa maman, dans lequel il nous offre des instantanés d'une vie à travers des photos de famille. Il se remémore à ses côtés sa découverte du film, un certain été à Jijel, alors qu'il n'avait que 10 ans : "À cette période, les Algériens connaissaient la chanson du film plus que l'hymne national." Ces clichés le font également remonter à ses premières amours, une petite blondinette aux yeux clairs... Ainsi ce docu ne revient pas sur la success story, le making off ou le parcours des comédiens de Janitou, comme le sous-entend le titre, mais il se veut un fil conducteur d'un passé récent de divers protagonistes ayant été certes bercés par cette œuvre indienne. Il est question d'amour dans un pays dans lequel tout est considéré comme "tabou", dans lequel les hommes ne se "mêlent" pas aux femmes et leur amour ne peut être que platonique. Dans ce voyage temporel, le réalisateur fait ressurgir à ses interlocuteurs de doux et parfois douloureux souvenirs, liés notamment aux assassinats perpétrés durant la décennie noire. Ces tranches de vie sont racontées à travers les photographies de famille, qui à elles seules racontent et font revivre des moments magiques de l'enfance ; une enfance confisquée pour beaucoup d'Algériens. Lyès Dehliz, quarantenaire, n'espère que "lahna" (le bonheur), trouver sa moitié, mais cela semble relever de l'impossible faute de moyens. Pour ses copains, l'amour est une affaire d'adolescents, à 40 ans il faut être responsable... Diverses réflexions qui en disent long sur la situation de notre jeunesse et son rapport avec l'autre. Abordées avec la sensibilité que l'on connaît du cinéaste, les questions amoureuses sont livrées avec délicatesse et une certaine amertume. Comme le souligne Hattou, un certain 29 juin 92 était assassiné Mohamed Boudiaf, et depuis ce jour une nouvelle histoire s'est ouverte en Algérie où "il n'y a plus de place à l'amour et aux rêves". Il n'y a plus place aussi à la culture, notamment au 7e art, car "le cinéma est mort" dans les années 90. Les confessions des protagonistes nous mènent également sur les traces de cette "Algérie effacée par la montée de l'extrémisme". Nous retrouvons feu Mabrouk Aït Amara, ancien projectionniste à la cinémathèque d'Alger, qui évoquait avec beaucoup de nostalgie le phénomène Janitou et autres films à la sauce bollywoodienne qui étaient projetés dans des salles qui ne désemplissaient pas. Aussi, la terreur vécue à cause des menaces perpétrées à l'encontre des employés de la cinémathèque par les islamistes. Car ces derniers considéraient que "tout ce qui est divertissant est haram". Pour Mehdi Boucharef, Lyès Dihliz et tant d'autres, Janitou est une ode à l'enfance, à l'insouciance, qui s'est achevée avec l'avènement des années 90, où des familles ont été brisées, car ces protagonistes ont eu leur part de malheur, à cause de l'assassinat de leur frère. Ce premier documentaire d'Amine Hattou qui a pris quelques années pour être finalisé – et l'attente en valait le coup – est une œuvre dans laquelle le cinéaste pose un regard émouvant sur notre société, tout en questionnant la mémoire avec un soupçon d'amour. Hana M.