Président de la Cellule opérationnelle chargée du suivi des enquêtes épidémiologiques, le Pr Mohamed Belhocine estime que "des mesures suffisamment sévères et limitatives pour réduire au maximum la transmission du virus s'imposent à présent sans pour autant paralyser l'activité économique et sociale". Liberté : La deuxième vague est désormais là et frappe de plein fouet comme le démontrent les derniers chiffres des contaminations enregistrés. Va-t-elle encore s'installer dans la durée avec l'arrivée de la saison hivernale ? Mohamed Belhocine : Nul ne peut apporter une réponse exacte à cette question. La période hivernale frappe à nos portes, le virus se sent plus à l'aise pour circuler quand les températures sont basses. Nous sommes en pleine rentrée sociale, et nous enregistrons une augmentation inquiétante du nombre de contaminations. Des facteurs ont évidemment favorisé cette nouvelle hausse. L'on citera la baisse des températures et la rentrée sociale. Parallèlement, il faut se rappeler d'une chose extrêmement importante. Le virus ne se transmet que lorsque les gens sont en contact entre eux. La rentrée sociale qui est là, augmente les probabilités de rencontres entre les gens. La reprise de l'enseignement en est aussi un autre facteur, mais on ne peut pas rester dans une société totalement paralysée toute l'année. Il y a également un relâchement flagrant qui a commencé avec la fin du mois de ramadhan, les gens ont pensé qu'ils pouvaient retourner à une vie normale. Cependant, le moindre nouveau cas enregistré témoigne de la circulation du virus dans la communauté. Alors à plus forte raison quand on recense 100 nouveaux cas par jour, même si ce nombre paraît peu, imaginons que ces 100 nouveaux porteurs de virus infectent chacun un cas, cela sous-entend que 100 autres malades sont dans la nature. Par conséquent, l'unique moyen dont on dispose pour le moment pour renverser cette tendance haussière et pouvoir réduire le nombre de chaînes de transmission, demeure incontestablement ces mesures de prévention et tout un chacun doit individuellement comprendre que c'est une responsabilité collective. Peut-on conclure que le confinement nocturne en vigueur depuis avant-hier mardi suffira à casser la dynamique des chaînes de transmission de ces derniers jours ? Des mesures suffisamment sévères et limitatives pour réduire au maximum la transmission du virus s'imposent à présent sans pour autant paralyser l'activité économique et sociale. Mais, serait-il facile de décréter la restriction de rester chez soi, comme on l'a fait la première fois ? Le retour à un confinement total implique que toute une catégorie de gens qui travaillent à leur compte, comme les petits artisans ou les petits commerçants, risquent encore de souffrir de la suspension de leurs activités. De même, il y a les enfants qui n'ont pas été en classe pendant huit longs mois, rendant important le risque de décrochage scolaire, les élèves risquant de perdre les compétences acquises en raison d'une longue période d'absence. Autrement dit, on ne peut pas demeurer tout le temps confinés. Il fallait donc absolument trouver cette crête intermédiaire, à savoir mettre le maximum de chances pour réduire les chaînes de transmission tout en maintenant un minimum de vie économique et sociale dans le pays. Le couvre-feu nocturne décrété par le gouvernement répond en partie à cet objectif. Chacun sait quand même qu'il y a beaucoup de vie sociale le soir. Les gens se regroupent autour d'un évènement heureux ou malheureux. Ce genre de rassemblements crée les conditions de ce que l'on appelle des "événements super-propagateurs". Le couvre-feu à 20h permettra d'éviter ces rassemblements privés qui peuvent devenir des événements super-propagateurs. Et le reconfinement général est donc définitivement écarté ? Rien n'est à écarter, tout sera décidé en fonction de l'évolution de la situation épidémiologique. Si les chaînes de transmission continuent à se multiplier encore de façon plus inquiétante, il n'est pas exclu que des décisions extrêmes soient prises. Pour éviter d'en arriver là, nous devons rester la main dans la main. Les services de santé font le maximum pour hospitaliser et guérir rapidement les patients et lancer des enquêtes épidémiologiques. En plus de l'identification des cas et de leur traitement, on doit appliquer aussi l'isolement des contacts et observer scrupuleusement le respect des mesures barrières. Sur ces deux derniers points, la coopération des citoyens et des autres services (collectivités locales, services de sécurité) est importante.
Comment expliquez-vous le décalage entre les chiffres annoncés par le ministère de la Santé et ceux communiqués par les services extérieurs de la tutelle notamment quand il s'agit du nombre de décès ? Il faut d'abord qu'on se mette d'accord sur les critères de définition pour dresser les bilans des contaminations ou des décès. Pour le décompte des décès, causés par le coronavirus, le critère qui a été défini est la présence d'un test PCR positif. En ce qui concerne les nouveaux cas, il peut y avoir un décalage des chiffres qu'on donne, par rapport à la réalité vécue ou perçue par le citoyen. Je m'explique. Au début de l'épidémie, les moyens de protection manquaient, beaucoup de cabinets privés ont fermé. La majorité des patients ayant des symptômes de Covid se ruaient vers les établissements du secteur public. Mais quand la situation des moyens de la riposte se sont stabilisés, il y a eu une diversification de l'offre de soins par la reprise de nombreux cabinets privés. Cependant, les privés n'ont pas pris la tradition de notifier systématiquement les cas identifiés aux services compétents du ministère de la Santé. Ce qui laisse supposer qu'une partie des patients infectés et qui vont chez le privé échappe à la statistique officielle. Il y a aussi des malades qui ont des formes légères ou asymptomatiques qui ne s'adressent même pas aux hôpitaux. Ils restent chez eux et guérissent après s'être faits livrer un traitement chez le pharmacien. Ces derniers aussi échappent au décompte officiel du ministère et aux enquêtes épidémiologiques. La dernière analyse de l'INSP a révélé un nombre effarant de contaminations prouvés par TDM scanner, soit plus de 110 000 cas, soit pratiquement le double de ce qu'a donné jusque-là le ministère de la Santé. Ne serait-il pas judicieux de communiquer les deux totaux cumulés soit par PCR+ ou par scanner ? Il y a tout un débat autour de cette question. Je reviens aux critères de définition du cas. Actuellement, on ne comptabilise que ceux qui ont été prouvés par PCR. Encore faudrait-il qu'on puisse offrir une PCR à toute personne suspecte de Covid-19, ce qui n'est pas le cas chez nous, comme dans de nombreux autres pays. Ceci dit, rien n'empêcherait effectivement qu'on dise que nous avons tant de cas absolument confirmés par la PCR, et que nous avons tant d'autres cas suspects avec image au scanner évocatrice. Et nous avons recensé tant de cas suspects clinique. Par conséquent, le chiffre va augmenter à chaque fois un peu plus. Mais cela peut aider à donner une image plus proche de la réalité que si on reste limitatif à la PCR. Quelles sont les premières conclusions tirées de l'évaluation des enquêtes épidémiologiques faites par la cellule opérationnelle de suivi que vous dirigez ? Nous avons visité plus d'une vingtaine de wilayas, avec à peu près 3 à 4 services d'épidémiologie et de médecine préventive (Semep) par wilaya. Ce qui nous a permis de constater une grande diversité, dans la qualité des enquêtes, de la collecte de l'information, la qualité de la coordination entre les hôpitaux et les Semep. Comment et à quel moment peut-on déclencher une enquête épidémiologique ? On devrait normalement déclencher systématiquement une enquête épidémiologique dans les 48 heures ou au maximum 3 jours après l'identification d'un cas certain ou d'un cas suspect de la Covid-19 qu'on trouve généralement à l'hôpital. Il faudrait que l'hôpital notifie le cas au Semep qui déclenche pour sa part une enquête épidémiologique. Cependant, il y a lieu de relever beaucoup de problèmes de coordination entre les services hospitaliers et les Semep. Pour mener à bien une bonne enquête, il faudrait collecter des informations fiables et sûres concernant les cas suspects ou les sujets contacts. Il faudrait avoir aussi les moyens de transport pour se déplacer. C'est dire qu'à chaque étape il peut y avoir des goulots d'étranglement. Ces goulots d'étranglement sous-entendent donc un décalage entre le discours officiel et la réalité du terrain ? Ce que je peux vous dire c'est que depuis le début, on est censé avoir fait des enquêtes. Et effectivement, des milliers d'enquêtes ont été faites et des dizaines de milliers de sujets contacts ont été identifiés. Mais, pour des raisons variées, il y a des enquêtes qui n'ont pas eu lieu ou qui se font uniquement par le téléphone contrairement aux recommandations du ministère. Peut-on lier l'explosion des contaminations de ces derniers jours à l'absence d'enquêtes épidémiologiques ? Nous devons souligner tout de même qu'il y a eu beaucoup de bon travail qui a été accompli sur le terrain. Des enquêteurs ont identifié des sujets contacts. Mais quand vous faites une ordonnance de confinement à un sujet contact, il faudrait qu'une autre autorité intervienne pour faire exécuter cette ordonnance. Force est de constater qu'il y a des faiblesses de procédure tout au long de cette chaîne-là. Nous avons en fait constaté qu'il y a une marge d'amélioration à exploiter dans la coordination entre les services hospitaliers et les services extrahospitaliers, les services sanitaires et les services des collectivités locales et les services de sécurité. C'est dire que la coordination doit être renforcée au niveau local. Mais nous ne pouvons pas lier l'explosion actuelle à l'absence d'enquêtes épidémiologiques. La raison principale réside dans l'abandon des mesures barrière ou la négligence dans leur respect par une grande partie des citoyens. Quelles sont les remarques que vous avez soulignées dans le rapport d'étape que vous avez remis dernièrement au Premier ministre ? Nous avons identifié les bonnes pratiques, nous avons identifié les goulots d'étranglement, liés notamment aux ressources humaines, à la logistique, aux moyens de transport et de communication particulièrement pour l'envoi des données, pour l'utilisation de l'application de "Covid Tracker", une application informatique développée en Algérie, qui permet de suivre en temps réel la pratique des enquêtes épidémiologiques et le suivi des personnes contacts identifiées. Nous avons fait part aussi des problèmes de coordination dont nous venons de parler. Et nous avons, à chaque visite, fait des recommandations spécifiques par wilaya.