Elle est l'un des visages de la nouvelle génération d'actrices pour qui l'engagement et le militantisme sont un cheval de bataille. Adila Bendimerad est sur tous les fronts ; social et politique avec le Hirak en 2019, mais surtout la lutte contre la violence faite aux femmes en faveur de laquelle elle vient de lancer une campagne de sensibilisation avec d'autres comédiennes. Liberté : Vous poursuivez la campagne "Actrices algériennes unies contre les féminicides" à travers la diffusion d'une vidéo sur les réseaux sociaux. Quelles seront les autres actions à mener d'urgence selon vous à votre niveau, mais aussi sur le terrain, sur le plan des lois... ? Adila Bendimerad : L'urgence est que nous nous sentons de plus en plus concernés et que nous décidions de faire quelque chose. Cela paraît général ce que je dis, mais c'est vraiment cette inertie qui fait que ça ne change pas. Mais il faut avouer que de plus en plus de personnes s'expriment et dénoncent. Il y a eu des vidéos, des sketches, des déclarations, des campagnes photos de gens connus et de citoyens. C'est aux Algériens de le vouloir et de le décider. Les lois suivront. Car, si des lois se font sans notre pression et notre volonté et bien elles ne seront pas appliquées. Il n'y a que les Algériens qui peuvent faire bouger leur pays. La source c'est nous et maintenant, il faut qu'elle jaillisse. Quel a été l'écho de votre campagne auprès du grand public et des femmes en situation de détresse ? Je ne m'attendais pas à autant de partages et de vues, de commentaires positifs et de réactions. Finalement, il y avait des mots à mettre sur les maux, et il fallait qu'ils soient articulés et dits à haute voix. Il fallait aussi qu'ils soient incarnés. Et puis, ces actrices se sont à elles que les femmes algériennes s'identifient quand elles vont au théâtre, quand elles passent à la télévision et au cinéma. J'ai trouvé que les femmes ont réagi comme face à un miroir. Un miroir dans lequel on ne s'est pas regardé depuis longtemps. Et d'un coup, on se voit. Cela nous émeut très fort, et nous prenons conscience qu'il faut que ça change et que ce changement doit passer par nous. Cette vidéo a fait presque 3 millions de vues en 24h ! C'est beaucoup. C'est la preuve qu'il fallait que ce soit dit et porté. Dans la vidéo vous démontrez crûment comment certaines femmes, dès leur jeune âge subissent toutes formes de violences verbales, psychologiques, physiques... Des traumatismes qui sont finalement ancrés. Ce qui est intéressant c'est que beaucoup n'ont pas compris pourquoi la phrase "Ne cours pas ma fille" qu'on entend dans la vidéo, est une injonction qui de façon invisible lisse, contrôle le corps d'une petite fille. On ne dit pas ça aux garçons. Ici nos grands-mères ne voulaient pas qu'on court, qu'on saute, qu'on monte sur un vélo. Ce n'est pas convenable pour la future épouse que l'on sera. Alors qu'empêcher une petite fille de courir c'est l'empêcher d'éprouver son corps, de sentir sa puissance, la vitesse, le challenge, et de se lancer dans l'aventure de la vie, c'est aussi l'affaiblir face à sa capacité de fuir le danger par exemple. C'est comme couper les ailes d'un oisillon.J'ai été témoin d'un père qui a désinscrit sa petite de la gymnastique par peur qu'elle perde sa virginité ! Elle avait 6 ans. Ce qui est délirant. Son frère a continué tout de même à la lui apprendre. Pensez-vous qu'aujourd'hui, et même après les nombreux féminicides qu'a connus le pays, les pouvoirs publics et la société civile ne se sentent toujours pas concernés par ce drame ? Je pense que ce n'est pas une priorité pour eux. Les politiciens, comme la majorité des militants de la société civile ne semblent pas comprendre que c'est une priorité, non seulement la lutte contre la violence, mais la situation inégalitaire et discriminatoire généralisée que subit la moitié de la population du pays, c'est à dire les femmes.Ils sont soit dans le déni, soit il ne comprennent pas que cette question est la clef pour toute la nation. Et là, c'est dommage pour nous tous. À nous de les secouer pour les réveiller. Votre engagement en faveur des femmes n'est pas nouveau. Même dans votre art, cet aspect est fortement présent ( Kindil El-Bahr dans lequel vous interprétez le rôle d'une femme lynchée à mort...) Je trouve que pendant longtemps la femme dans la fiction a eu un rôle de symbole, force maternelle, moujahida, femme courage. En faire un symbole est la meilleure façon de la cadrer, la limiter et l'emprisonner. Tu dois être ça et surtout ne déborde pas, sinon tu seras moins que rien. Bon. Tout cela manque d'humanité, tout ça c'est de la langue de bois, tout cela sent la mort. Il faudrait plus de femmes à l'écriture et à la réalisation, mais pas que... Il faudrait qu'elles osent raconter leur complexité, qu'elles s'affranchissent de l'imaginaire masculin. Nous devons raconter le monde comme nous le voyons et le sentons, mais nous devons le façonner aussi comme nous le rêvons, nous. Vous étiez également très présente durant le Hirak, où vous animiez devant le TNA des débats citoyens. Pouvez-vous revenir sur cette expérience et la présence de toutes les catégories sociales qui ont fait preuve d'une grande conscience politique ? Les souvenirs de ces débats sont riches et intenses. Mais en parlant de femmes, sachez que depuis le mois de Ramadan, et par la suite, elles ont été de moins en moins nombreuses. Parfois, il n'y en avait plus. Le résultat s'est vite fait sentir. Les débats devenaient moins riches, plus agressifs et moins ouverts. La tension politique y est pour beaucoup aussi. Mais ce déséquilibre homme/femme a très vite montré ses limites.