Le P-DG d'Alliance Assurances évoque dans cet entretien la situation du secteur des assurances, fortement impacté par la crise sanitaire. Pour redresser la barre et sauver le secteur du naufrage, il faut un plan de sauvetage sans délai avec des réformes structurelles nécessaires, profondes et irréversibles, plaide-t-il. Liberté : La crise économique et financière engendrée par la chute des prix du pétrole depuis la mi-2014 s'est exacerbée à la suite de la survenance de la pandémie de Covid-19. Quel est l'impact sur le secteur des assurances ? Hassen Khelifati : Effectivement, la situation économique en Algérie a commencé à se dégrader sérieusement dès l'année 2014. Malheureusement, les réformes économiques structurelles, nécessaires, profondes et irréversibles n'ont pas été engagées. La crise sanitaire inédite, liée au Covid-19, a exacerbé la vulnérabilité de notre économie peu diversifiée, sous-développée, non modernisée et dépendante des recettes pétrolières. Le secteur des assurances a, ainsi, subi plusieurs contraintes supplémentaires. Il y a eu l'instauration de la collecte de la taxe sur la pollution dans la loi de finances 2020 à la charge des assureurs et qui a lourdement impacté le chiffre d'affaires du secteur. Il y a, aussi, le tarissement du marché des véhicules neufs, ainsi que la réduction des marchés publics d'équipements et d'investissements. Au-delà des dysfonctionnements dont souffre le secteur et qui sont toujours en attente de prise en charge sérieuse, la pandémie a également eu un impact sur le chiffre d'affaires du secteur. La perte est estimée à 12 milliards de dinars à fin septembre 2020, mais le plus grave, ce sont les créances impayées, dont une bonne partie sera difficilement recouvrable, et qui cumulent 68,5 milliards de dinars, soit un montant qui dépasse les 50% du chiffre d'affaires annuel. L'UAR a proposé certaines mesures pour atténuer les conséquences de la crise sanitaire sur l'activité des sociétés d'assurance et de réassurance. Les pouvoirs publics ont-ils été attentifs aux doléances des compagnies d'assurances ? Dès le mois de mai 2020, les compagnies à travers leur représentation, qui est l'UAR, ont produit un document complet sur la situation du secteur et les mesures attendues de la tutelle, afin d'atténuer les effets de la crise sanitaire. Le document comporte des mesures techniques, comptables, financières et juridiques spécifiques au secteur, comme celles adoptées par la Banque d'Algérie pour les banques de la place. Le secteur n'a pas demandé une aide financière directe pour les compagnies. Trois mesures phare ont été réalisées jusqu'à maintenant, en attendant la prise en charge des autres préoccupations, afin de permettre un atterrissage en douceur des bilans des compagnies et éviter une déstructuration et un déséquilibre certains. Le projet de loi de finances 2021 prévoit l'abrogation de la Taxe sur la pollution. L'accord multilatéral sur l'assurance automobile limitant les remises tarifaires à 50% maximum a été approuvé. Son entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2021. Suite à l'augmentation exponentielle du stock des créances, la commission de supervision a non seulement tiré la sonnette d'alarme, mais elle a également exigé des compagnies l'assainissement de cette situation. Elle a aussi clarifié définitivement l'interprétation de l'article 17 de la loi 95/07 sur la production d'effets et des engagements des compagnies envers les assurés. L'effet déclencheur des engagements de couverture du risque par la compagnie d'assurances sera désormais le paiement de la prime à la souscription et tout contrat non payé ne vaut que le coût du papier et de l'encre et, vis-à-vis de la loi, sans paiement, pas de couverture ni engagements envers l'assuré et des tiers. C'est un changement fondamental et radical dans l'approche assurentielle en Algérie. Il est certain que nous allons trouver au sein de l'UAR, avec un accompagnement fort et efficace de la tutelle, des mécanismes transitoires temporaires pour assainir le passif et résorber le stock de créances et de sinistres impayés, et ne plus permettre une reconstitution de stocks nouveaux dans le futur. Le ministère des Finances a donné, récemment, son accord de principe pour la mise en œuvre d'un accord multilatéral relatif à la gestion de la branche automobile. Est-ce la fin de la guerre des tarifs dans le secteur des assurances ? Nous avons fait beaucoup d'efforts pour arriver à ce consensus et faire admettre à la totalité des acteurs du marché d'arrêter la spirale de la guerre tarifaire qui ne profite à personne et qui risque d'emporter tout le monde sans exception. C'est un accord qui est paraphé par l'ensemble des acteurs du marché. L'UAR sera le garant et le superviseur de son application et, le cas échéant, saisira obligatoirement la commission de supervision des assurances au niveau du ministère sur toute transgression ou non-application. Celle-ci sera le juge et pourra prendre toutes les mesures nécessaires contre les contrevenants. Les maux du secteur sont connus et reconnus, et nous n'avons jamais cessé de les dénoncer : la guerre des prix, le dumping, la rallonge à l'infini des délais de remboursement faute de collecte de primes suffisantes pour y faire face, l'accumulation des stocks de sinistres non réglés, la concurrence déloyale, le refus de liquidation des sinistres RC par certains, faute de capacité financière suffisante, le stock des créances qui devient dangereux et alarmant, la discrimination public-privé dans la plupart des appels d'offres publics par des pratiques sournoises et vicieuses connues, etc. Le dumping et la guerre des prix sont devenus tellement graves qu'ils sont dénoncés par tous les acteurs et intermédiaires. La baisse du chiffre d'affaires du secteur est alarmante. Nous pensons qu'avec la jonction de la baisse du chiffre d'affaires et la baisse de la valeur du dinar, il est très possible que nous clôturions, l'année 2020, à moins de 1 milliard de dollars, ce qui est en deçà du potentiel de notre marché. Nos pratiques et notre fuite en avant font que nous détruisons de la valeur chaque année. Cela pénalise le Trésor public, l'économie et l'équilibre financier des entreprises. Et si nous ne prenons pas de mesures salutaires, les prochaines années risquent d'être encore plus difficiles et fatales pour tout le monde. Est-ce la fin de la guerre tarifaire, je ne saurais vous le dire. Néanmoins, c'est le début d'une nouvelle phase pour notre secteur. Nous n'avons plus le choix. La spirale de la guerre tarifaire conjuguée au phénomène inflationniste risquent d'étouffer définitivement les compagnies. Qu'en est-il des autres branches d'assurances ? Le protocole d'accord automobile est un premier pas. Cet accord vaut valeur de test grandeur nature. Par ailleurs, la branche est la plus importante. Néanmoins, au sein de l'UAR, nous projetons d'étendre ce type d'accord aux autres branches dans des délais très rapprochés. Il y va de l'intérêt du marché, des compagnies et des assurés. L'objectif est d'avoir des compagnies fortes, équilibrées techniquement et financièrement et capables, non seulement de faire face aux engagements, mais aussi de réduire les délais de remboursement et les stocks de sinistres, d'améliorer la qualité de service et d'innover dans l'intérêt du marché.
Le niveau des créances détenues par les compagnies d'assurances sur les assurés connaît, ces dernières années, d'importantes hausses, dont les conséquences pourraient impacter négativement les équilibres techniques et financiers du secteur ? La pratique néfaste et dangereuse de la vente à crédit des contrats d'assurances au détriment des bonnes pratiques et de la loi s'est installée depuis des années. Elle est même devenue un argument concurrentiel utilisé par les assurés qui ont trouvé là une manière de financer leurs cycles d'exploitation à moindres frais et même de se faire rembourser les sinistres sans avoir payé la police d'assurances et en violation de la loi. Tout le monde est perdant : la compagnie d'assurances, ses intermédiaires, agents généraux et courtiers, qui sont payés à l'encaissement, et le Trésor public à travers la non-perception des taxes, notamment la TVA... La réassurance est payée sur les fonds propres des compagnies. Du coup, celles-ci ont moins de capacité financière pour les placements sur le marché financier et le financement du cycle économique à moyen et à long terme à travers les bons du Trésor. Les créances douteuses deviennent une charge à provisionner et les affaires contentieuses s'accumulent auprès des tribunaux. Le seul gagnant est l'assuré qui a été couvert avec le moins d'engagement possible et une mauvaise interprétation de l'article 17 de la loi 95/07. Avec cette dernière décision de la tutelle qui a clarifié le contenu et le sens légal de cet article, tout contrat qui n'est pas payé à sa souscription ne produit pas ses effets, et la couverture n'est acquise ni pour l'assuré ni pour les tiers en responsabilité civile. Les créances ont atteint un niveau plus qu'alarmant, qui risque de mettre en faillite le secteur, surtout à la suite des difficultés financières et de trésorerie que vivent les entreprises à cause de la crise financière et des effets de la crise sanitaire. Le taux de pénétration des assurances demeure faible. Que faut-il faire pour que ce secteur puisse jouer pleinement son rôle dans le financement de l'économie ? Le taux de pénétration des assurances en Algérie est très bas par rapport au potentiel du marché et les résultats réalisés par d'autres marchés similaires. Nous sommes à 0,7% de taux de pénétration par rapport au PIB. Notre potentiel devrait nous permettre d'atteindre un chiffre de 3 à 5% sans problème, soit entre 5 à 8,5 milliards de dollars. Nous arrivons avec toutes les peines du monde à nous maintenir à un peu plus de 1 milliard de dollars. Pour redresser la barre et sauver notre secteur du naufrage, il faut un plan de sauvetage sans délai avec des réformes structurelles nécessaires, profondes et irréversibles. Il faut une régulation indépendante dotée de tous les moyens techniques, humains, juridiques et matériels. Il faut, également, adopter des règles de fonctionnement mondialement admises et interdire toutes les pratiques néfastes, et qui mettent en danger l'équilibre financier et technique dans le secteur.