Après 2020, qui aura été une année catastrophique pour l'économie nationale, les arbitrages attendus du gouvernement seront déterminants pour faire face aux graves crises que traverse le pays. Tout le long de l'année 2020, l'Algérie s'est retrouvée confrontée à une série de chocs économiques et financiers qui résultent essentiellement de la rechute des cours du brut dès le début de l'année, alors que le pays barbotait déjà dans une situation financière inconfortable, née du spectaculaire retournement de situation sur le marché pétrolier vers la mi-2014. Les prix du pétrole ont commencé à se replier dès janvier 2020 ; le Brent, pétrole de référence pour le Sahara Blend algérien, baissant de 5,1% en janvier, à 63,6 dollars en moyenne par baril. Le marché nourrissait déjà les pires inquiétudes face à la crise sanitaire qui sévissait en Chine, un des plus gros pays consommateurs de pétrole. Le Brent a enchaîné de lourdes pertes durant les trois premiers mois de l'année pour établir, en avril, un plancher de 16,9 dollars le baril, son niveau le plus bas depuis juin 1999. Sur l'unique mois d'avril 2020, le Brent a perdu 41,2% de sa valeur. En variation trimestrielle, la référence européenne a perdu 70,5% de sa valeur. Cette dégringolade, amorcée depuis le début de l'année en cours, était bien pire que celle de 2014, dont les conséquences sur l'économie algérienne se font sentir encore, cinq années après. Les cours ont réussi à remonter la pente au second semestre de l'année, conséquence de l'accord conclu, le 12 avril dernier, par les membres de l'Opep et leurs partenaires non-Opep. Les producteurs avaient alors arrêté un calendrier de baisses de production étalées sur plusieurs mois, dont la dernière devrait intervenir dès le 1er janvier 2021. Le mois dernier, le Brent s'était redressé de +5,6%, s'établissant désormais à plus de 50 dollars le baril, son plus haut niveau depuis six mois. En dépit de cette hausse des cours qui a marqué la seconde moitié de l'année, les déficits budgétaire et courant de l'Algérie demeurent très élevés, alimentés, d'un côté, par l'excès de la dépense interne et des importations et, de l'autre, par la baisse des recettes, aussi bien des exportations d'hydrocarbures que de celles de la fiscalité ordinaire. La loi de finances complémentaire 2020 anticipait d'ailleurs un solde négatif de -18,8 milliards de dollars de la balance des paiements, contre une prévision de -8,5 milliards de dollars dans la loi de finances préliminaire, alors que le déficit budgétaire devrait caracoler à plus 2 954 milliards de dinars (15,5% du PIB), contre un déficit de -2 435,6 milliards anticipé par la principale loi budgétaire de 2020. La rechute des prix du pétrole a fait aggraver les déficits budgétaire et courant, et a réduit davantage la marge de manœuvre du gouvernement. Pris en tenailles entre une équation budgétaire qui se complexifiait et la difficulté d'entreprendre des ajustements de fond en période de crise sanitaire, l'Exécutif reprend à son compte les vieilles recettes et remet en marche les leviers monétaires, dans une énième tentative d'amortir, un tant soit peu, l'impact du choc pétrolier sur les fondamentaux de l'économie. Le taux de change comme levier d'ajustement Le calme précaire qui a caractérisé le marché officiel des changes en 2019 aura fait long feu. Le dinar entame l'année 2020 avec un spectaculaire mouvement baissier. Janvier dernier, un dollar valait 120 DA en moyenne, alors que la valeur de l'euro était fixée à 132 DA en moyenne. La valeur du billet vert est passée à 138,23 DA cette semaine, alors que celle de la monnaie unique européenne est passée à 168,72 DA. Cette nouvelle érosion du dinar est intervenue dans un contexte marqué par la baisse des fondamentaux de l'économie nationale et celle des partenaires commerciaux. La chute des prix du pétrole devait se traduire par une fonte de plus de 13 milliards de dinars des recettes pétrolières et plus pour le PIB, alors que la situation économique de nombreux pays partenaires de l'Algérie s'est nettement détériorée sous l'effet de la crise sanitaire. Une appréciation du dinar dans cette conjoncture serait nuisible pour l'économie du pays. Sa dépréciation était même "souhaitable". Le taux de change du dinar avait joué par le passé, soit de 2014 à 2017 particulièrement, le rôle d'amortisseur du choc pétrolier de la mi-2014. Les nouvelles interventions de la Banque centrale, constatées durant 2020, avaient pour objectif d'amortir, en partie, l'effet de la rechute des cours du brut sur l'économie. Faute de réformes, le taux de change du dinar continuait ainsi à être le principal levier d'ajustement macroéconomique en 2020. Sur le terrain politique, les réformes structurelles et autres mesures d'ajustement macroéconomique étaient quasi inexistantes. Les mesures inscrites dans la loi de finances 2020, destinées à soutenir l'investissement et les entreprises, dont l'abrogation de la règle 51/49% et l'assouplissement du droit de préemption, n'ont été jusqu'ici d'aucun impact, tant il est vrai que l'activité économique était réduite à sa plus simple expression, pénalisée à la fois par la panne politique de 2019 et le choc pandémique de 2020. Le PIB a ainsi chuté de 3,9% au premier trimestre de l'année ; le déclin de l'activité dans le secteur des hydrocarbures étant le plus prononcé avec, au tableau, une baisse importante de 13,4%. Le secteur enchaîne sa énième contreperformance et, probablement, la pire de ces dix dernières années, due, principalement, à l'état de désinvestissement qui caractérise l'amont pétrolier et gazier. Outre les hydrocarbures, des pans entiers de l'économie hors hydrocarbures ont vacillé en 2020, dont celui du BTPH qui tirait l'essentiel de la croissance de ces dernières années, ainsi que celui de l'industrie, certaines filières hissant carrément le drapeau blanc, faute d'intrants, de financements et de changement de réglementation. Résultats : le coût social de la crise s'est aggravé avec, comme éléments visibles, la hausse du taux de chômage et l'érosion du pouvoir d'achat des ménages. Baisse des liquidités L'année 2020 aura été aussi catastrophique pour le secteur bancaire que celle de 2016 qui avait connu le premier épisode de la crise de liquidités, deux années seulement après le choc pétrolier de la mi-2014. Plus tôt cette année, la Banque d'Algérie annonce une contraction de plus de 180 milliards de dinars de la liquidité bancaire à fin mai 2020 par rapport à la fin 2019, pour passer sous le seuil de 1 000 milliards de dinars. La liquidité globale des banques est passée ainsi de 1 557,6 milliards de dinars à fin 2018 à 1 100,8 milliards de dinars à fin 2019, pour atteindre 916,7 milliards de dinars à fin mai 2020. L'effet de la planche à billets, qui a permis aux banques publiques de sortir la tête de l'eau après l'épisode de sous-liquidité de 2016-2017, aura été de courte durée, puisque les établissements bancaires sont retombés aussitôt dans la sous-liquidité au lendemain de la suspension de la production monétaire. Depuis mars dernier, la Banque centrale était intervenue à maintes reprises pour tenter de libérer de la liquidité au moyen des leviers monétaires. Le taux des réserves obligatoires a été ainsi baissé à trois reprises, ramené de 12 à 3% en un laps de temps de sept mois seulement, tandis que le taux directeur de la Banque centrale était baissé à 3,25% cette année. Depuis peu, la Banque d'Algérie a décidé de dispenser carrément les banques et les établissements financiers de l'obligation de constitution du "coussin de sécurité". Certaines banques n'étaient même plus en mesure de constituer des réserves de sécurité. Aussi, la Banque centrale est revenue à la charge en cette fin d'année 2020 en ramenant à 0,1% le taux de la prime due par les banques et succursales de banques étrangères exerçant en Algérie, au titre de leur participation au système de garantie des dépôts bancaires. Cette ultime mesure de la Banque centrale intervient dans un contexte marqué par une sévère contraction des liquidités. L'absence de solutions de long terme au marasme que connaissent certaines banques publiques a fait germer au sein du gouvernement l'idée d'ouvrir le capital de deux d'entre elles via la Bourse d'Alger. Une recapitalisation de certaines entreprises publiques par leur introduction en Bourse serait également à l'étude. Ces projets d'ouverture partielle du capital des banques et des entreprises témoignent en tout cas de l'échec des politiques de soutien financier de l'Etat propriétaire. Les tensions financières que traversait le pays depuis 2016 se sont exacerbées en 2020. Le plan de croissance discuté par le gouvernement et ses partenaires sociaux en août dernier est resté lettre morte, faute de ressources, alors que l'absence du chef de l'Etat depuis la mi-octobre a participé à paralyser le pays. L'Algérie se voit désormais confrontée à des enjeux importants, dont celui de faire repartir la croissance en période d'amenuisement des ressources, de résorber les déficits, alors que la dépense continuera à être importante en 2021, de faire reculer le chômage et l'inflation en temps d'érosion monétaire, etc. C'est dire qu'à l'issue de cette année 2020, qui aura été catastrophique pour l'économie nationale, les arbitrages politiques du gouvernement seront déterminants. Mais sa marge de manœuvre s'est considérablement rétrécie. Une situation qui ravive le spectre de l'endettement extérieur que le gouvernement s'interdisait mordicus, bien qu'inscrit officiellement dans la loi de finances 2020.