Des ONG internationales de défense des droits de l'Homme et des instances officielles ont également exprimé leur inquiétude sur la situation qui prévaut en Algérie. Quatre-vingt-quinze prisonniers d'opinion sont actuellement derrière les barreaux. Poursuivis et condamnés pour avoir exprimé, comme des millions de leurs concitoyens, leurs aspirations, leurs rêves et leur désir d'avenir. Sur ce nombre rendu public par le Comité national pour la libération des détenus, l'écrasante majorité a été interpellée au cours de la seule année qui s'achève, notamment à la faveur de la crise socio-sanitaire qui a brutalement mis un coup d'arrêt aux manifestations populaires. Le cycle répressif a débuté dès le mois de mars 2020 en plaçant en détention l'ancien policier Toufik Hassani, à Chlef, et qui ne s'est pas arrêté ce mois de décembre avec l'interpellation de Sofiane Slimani à El-Oued, Nasreddine Younès et Ali Naïb à Tiaret. La réalité veut que depuis le printemps et la décision du Hirak de suspendre les marches des vendredis et mardis pour éviter la propagation du coronavirus, la machine judiciaire s'est mise en branle. Les accusations pleuvent avec des chefs d'inculpation souvent liés à "l'attroupement non armé, l'atteinte à l'unité nationale (charge retenue pour réprimer les porteurs du drapeau identitaire amazigh) ou encore outrage à corps constitués". Pour autant qu'elle ait eu pour objectif d'apaiser les esprits, la décision de remise en liberté de près de 80 détenus prise par Abdelmadjid Tebboune en janvier 2020, quelques jours après l'élection présidentielle, a ainsi pris du plomb dans l'aile. Et la multiplication des interpellations — pas toujours conformes aux procédures —, des convocations et des procès, dès le mois de mars suivant, a suscité l'indignation de l'opinion nationale qui n'avait plus d'autre support d'expression que les réseaux sociaux. C'est ainsi que des opérations de protestation virtuelles ont été organisées pour exiger la libération des prisonniers politiques et des détenus d'opinion. À l'étranger, la diaspora s'est, de son côté, mobilisée en soutien aux détenus du Hirak en organisant des sit-in exigeant leur libération immédiate et inconditionnelle.
Condamnation et protestation Des ONG internationales de défense des droits de l'Homme et des instances officielles ont également exprimé leur inquiétude sur la situation qui prévaut en Algérie. La dernière réaction en date, une résolution d'urgence votée le 26 novembre dernier par le Parlement de l'Union européenne, a dressé un tableau très peu reluisant de la situation des droits de l'Homme en Algérie : escalade des arrestations, détentions illégales et arbitraires, harcèlement juridique ciblant les journalistes, les défenseurs des droits de l'Homme, les syndicalistes, les avocats, les membres de la société civile et les militants pacifiques en Algérie... sont les principaux griefs retenus par l'instance européenne. Pour le ministère algérien des Affaires étrangères, la résolution du Parlement européen n'est rien d'autre qu'un concentré d'allégations d'accusations dénotant une hostilité digne de la période coloniale. "L'Algérie tient à apporter le démenti le plus méprisant à l'ensemble des accusations fallacieuses. Elle déplore la tonalité foncièrement haineuse et teintée de paternalisme de ce texte, qui dénote une hostilité avérée digne de la période coloniale de certains milieux européens à l'égard du peuple algérien et de ses choix souverains", a répondu le département de Sabri Boukadoum, alors que des partis proches du pouvoir sont naturellement montés au créneau pour crier au scandale. Infatigables avocats Au front depuis le début des tracas judiciaires des hirakistes, les avocats qui se sont engagés aux côtés du mouvement populaire se sont vite rendu compte de la détermination du pouvoir à mettre fin au Hirak. Y compris en piétinant toutes les lois de la République : dans de nombreux dossiers présentés à la justice, le principe de la présomption d'innocence n'a pas été appliqué et les mandats de dépôt ont pris le pas sur la liberté provisoire et le contrôle judiciaire. "Non seulement les hirakistes sont poursuivis pour des délits imaginaires, mais ils sont de surcroît souvent placés en détention, alors qu'ils présentent des garanties de représentation", ont régulièrement déploré les avocats de la défense qui courent les tribunaux à travers tout le territoire national. Si certains procès s'achèvent par la relaxe ou le sursis, le parquet interjette souvent appel, ce qui signifie des épisodes de tension et de stress pour les activistes et leurs proches. Dans d'autres procès, des activistes sont condamnés alors que, de l'avis de tous les observateurs, les avocats ont démontré des vices de procédure et la vacuité des dossiers d'accusation. "Il y a là une volonté de tuer le mouvement populaire. Cela est indéniable", a assuré l'un des avocats du collectif de défense du Hirak d'Oran lors de l'un des nombreux procès qui ont jalonné les annales judiciaires de 2020. L'acharnement d'en finir avec le Hirak, comme le soutiennent les activistes, continue de se manifester par l'interdiction des rassemblements et des sit-in, et la mise en place d'un dispositif policier prêt à intervenir pour la plus petite suspicion de manifestation. À Oran, il est arrivé que des activistes connus aient été interpellés parce qu'ils passaient à proximité de la place du 1er-novembre, lieu de départ de toutes les marches de 2019 et 2020. En octobre dernier, un sit-in pacifique visant à dénoncer l'assassinat de Chaïma et la hausse des féminicides a été avorté avant même de débuter sur le Front de mer, et les manifestants (également membres connus du hirak) ont été interpellés par des agents de l'ordre, interrogés avant d'être libérés dans la journée. Ce 30 décembre, six manifestantes, qui devaient prendre part au sit-in, ont reçu des convocations pour se présenter devant la justice, afin de répondre du non-respect des mesures du confinement sanitaire. Ironie du sort, l'année s'achève à Oran par un énième procès intenté contre des membres du Hirak. Ce 31 décembre 2020, plusieurs hirakistes doivent ainsi être jugés par le tribunal de Fellaoucène pour attroupement non armé et entrave à une opération électorale, a annoncé, hier, Me Ahmed Mebrek. Les prévenus sont poursuivis pour des faits qui remontent à la fameuse journée du 12 décembre 2012 qui a vu des dizaines de personnes arrêtées, d'autres violentées, pour permettre la tenue du scrutin présidentiel. L'année qui s'annonce sera-t-elle différente de 2020, voire meilleure en termes de respect des droits de l'Homme ? Rien n'est moins sûr. En tout cas, tous les observateurs avertis craignent la poursuite du harcèlement des hirakistes. À moins que les tenants du pouvoir ne se rendent à l'évidence qu'il y a désormais un avant et un après-février 2019.