Au troisième jour du procès de l'automobile, le tribunal s'est penché sur l'épisode du financement occulte de la campagne du 5e mandat. À la barre, Mazouz raconte comment l'équipe de Bouteflika forçait des patrons à mettre la main à la poche pour demeurer dans les bonnes grâces du régime. Récit d'un racket organisé. Ahmed Mazouz : "J'ai donné 39 milliards..." La juge près la cour d'Alger s'est penchée, hier, sur le financement "occulte" de la campagne électorale, pour un 5e mandat, de l'ancien président déchu, Abdelaziz Bouteflika, en appelant à la barre l'homme d'affaires, Ahmed Mazouz, accusé d'avoir remis un chèque de 39 milliards de centimes à Ali Haddad alors président du Forum des chefs d'entreprise (FCE). Sommé de s'expliquer sur l'objectif de ce financement "occulte", l'accusé qui comparaît par visioconférence depuis sa prison de Boussouf, à Constantine, a affirmé que c'était son associé et cousin Mohamed Baïri (vice-président du FCE jusqu'à 2019) qui l'a approché pour lui demander de mettre de l'argent dans la campagne électorale d'Abdelaziz Bouteflika en 2019. "Il (Baïri) est venu m'informer qu'il fallait aider l'équipe de campagne. J'ai demandé s'il y avait d'autres hommes d'affaires qui étaient concernés par le financement de la campagne, et il m'a dit qu'Ali Haddad avait mis 180 milliards de centimes dans cette campagne. Après réflexion, j'ai décidé de signer un chèque de 39 milliards de centimes que j'ai remis à Baïri", déclare Ahmed Mazouz. "Pourquoi avoir donné de l'argent ? Qu'attendiez-vous en retour de ce don important ?", interroge la présidente de l'audience. "Je l'ai fait pour le bien de mon pays. Abdelaziz Bouteflika s'est présenté en tant que candidat indépendant. C'était le candidat de la stabilité et de la continuité. Je n'avais aucun objectif particulier. C'est pour le pays. Ce n'est pas la première fois que je fais cela. En 2016, lorsque l'on a lancé l'emprunt obligataire, j'ai déposé un chèque de 130 milliards de centimes pour le bien du pays. Je n'ai rien attendu en retour", explique l'accusé, en affirmant s'être toujours tenu loin des affaires politiques, en se consacrant uniquement à son "rôle d'industriel et d'investisseur". La juge revient à la charge : "Avez-vous fait l'objet de pressions pour ce chèque ?" "Aucune pression Mme la présidente", répond-il. "Pouvez-vous expliquer à l'audience pourquoi vous avez remis ce chèque à Ali Haddad et non pas à Sellal qui avait été désigné directeur de la campagne de Bouteflika ?", interroge encore la juge. Le prévenu explique avoir signé le chèque à l'adresse de la direction de campagne de l'ancien président déchu. "Pourtant, le chèque a atterri sur le bureau de l'homme d'affaires Ali Haddad", fait remarquer la présidente de l'audience, en sommant le prévenu de répondre. "Parce que c'est le FCE, Mme la présidente", lâche-t-il, avant d'ajouter : "Moi je ne savais rien. C'est Mohamed Baïri qui est venu me voir et m'informer que c'est Ali Haddad qui s'occupait de la collecte d'argent. Baïri est un frère, un cousin et un associé, je lui ai fait confiance Mme la présidente. Tout ce que j'ai fait, c'est pour la stabilité de mon pays." La juge demande à l'accusé s'il avait, toutefois, pu récupérer son argent. "Non. J'ai demandé à Haddad de me le rendre. Il m'a promis qu'il allait le faire, mais après les choses se sont compliquées et..." La juge l'interrompt :"Que voulez-vous dire par les choses se sont compliquées ?" "T'khaltet Mme la présidente. Le Hirak", répond l'accusé, provoquant le rire de l'assistance. Pendant son audition, la juge s'est, en outre, intéressée au lien entre ce financement et la signature, le lendemain, de la validation par la commission d'évaluation du ministère de l'Industrie du dossier de Mazouz pour le montage automobile. Un pur hasard ? La juge semble peu convaincue. Et pour cause. Selon les rapports d'expertise, le dossier de l'opérateur Mazouz (montage automobile) a été validé au ministère de l'Industrie, le 8 février 2019, soit un jour après que l'accusé a remis son chèque à l'homme d'affaires Ali Haddad pour le financement de la campagne électorale. "Permettez-moi Mme de vous dire que c'est totalement faux. La signature de mon dossier pour le montage automobile a été faite le 19 février 2019 et non pas le 8 février", dit le prévenu en insistant sur le fait qu'"il n'y avait aucun lien entre le financement de la campagne de Bouteflika et son projet pour le montage automobile". Durant la matinée, Ahmed Mazouz a été également interrogé sur ses liens avec le fils de l'ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal, Farès. "Confirmez-vous que Farès Sellal était votre associé dans l'entreprise Jamal Motors ?", demande la juge. "Farès Sellal n'a jamais été mon associé", répond-il, expliquant avoir fait sa connaissance par l'intermédiaire de Mohamed Baïri. "C'est lui (Baïri) qui me l'a présenté. Il était intéressé par la société Jamal Motors. Je lui ai vendu mes parts." "Quel a été le prix de cette vente ?", demande la juge. "9 millions de dinars Mme la présidente", répond l'accusé, en insistant dur le fait de n'avoir jamais eu de relation avec Abdelmalek Sellal.