Dans son discours de mardi soir, le Premier ministre n'a pas réussi à convaincre des Tunisiens en attente de décisions concrètes pour leurs revendications sociales et économiques. Les protestations se sont poursuivies dans la soirée de mardi à hier, à travers plusieurs quartiers défavorisés des principaux gouvernorats en Tunisie, où se sont déroulées des heurts entre manifestants et forces de l'ordre déclenchées depuis vendredi, au lendemain du dixième anniversaire de la chute de Zine El-Abidine Ben Ali, chassé du pouvoir par la foule le 14 janvier 2011. Dans ce contexte, le Premier ministre tunisien Hichem Mechichi s'est adressé aux protestataires à travers un discours télévisé mardi soir, dans lequel il assurait que "la crise est réelle et la colère est légitime et les protestations aussi", estimant toutefois mais sur un ton menaçant que "la violence est inacceptable et nous y ferons face avec la force de la loi", lit-on sur la page officielle du gouvernement. "Votre voix est entendue et le rôle du gouvernement est de transformer vos revendications en réalité", a-t-il ajouté, mais le droit de manifester "ne doit pas se transformer en droit de piller, voler ou casser". Cependant, aussi tardif qu'il était, le discours du gouvernement n'a pas pour autant apporté de solutions concrètes aux doléances soulevées lors de ces protestations. Pis encore, il prône la fermeté face aux violences. Preuve en est que, lundi, le ministère de l'Intérieur a fait état de plus de 600 arrestations. Au moins 21 mandats de dépôt ont été également émis contre des accusés de pillage et de dégradation de biens publics et privés au gouvernorat de Sfax. Ce qui a fait craindre le pire à la société civile, qui estime que le gouvernement, en apportant "une réponse uniquement sécuritaire, avec des arrestations massives, et pas de réponse sociale ou politique", fait en sorte que "les tensions vont rester vives". "Il y a un déni et une sous-estimation de la colère parmi les jeunes, notamment parce que les onze gouvernements qui se sont succédé (depuis la chute de Ben Ali) n'ont pas eu de stratégie pour répondre à la question centrale de l'emploi", souligne Olfa Lamloum, directrice de l'ONG International Alert en Tunisie, qui travaille dans les zones les plus marginalisées du pays. Au lendemain de la sortie du discours du chef de l'exécutif tunisien, les observateurs se demandaient, en effet si, en agitant la main lourde contre les manifestants qu'il assimile à des "casseurs", le gouvernement n'a pas attisé encore davantage la colère des jeunes des quartiers défavorisés. La question est d'autant plus posée après les manifestations mettant en scène des centaines de jeunes Tunisiens qui se sont encore produites mardi à Tunis, à Sfax (centre), à Kasserine et à Bizerte. Les manifestants qui protestaient contre la classe politique, la répression policière et la hausse des prix ont brûlé des pneus, et les unités de sécurité ont riposté en lançant des grenades de gaz lacrymogène pour les disperser, ont ainsi rapporté les médias tunisiens. Répondant notamment à des appels lancés sur les réseaux sociaux, plusieurs centaines de jeunes se sont rassemblés mardi à Tunis et Sfax, bravant l'interdiction de rassemblement décrétée pour des raisons sanitaires. Pour leur part, des composantes de la coalition régionale ont annoncé une grève générale qui aura lieu lundi 2 février dans le gouvernorat de Siliana, ont soutenu les mêmes sources. Ces heurts interviennent dans un contexte socioéconomique et politique difficile, exacerbé par la pandémie de Covid-19, qui s'est traduit par la perte de milliers d'emplois et la désorganisation des écoles. Une situation face à laquelle et le gouvernement, constitué en septembre et largement remanié samedi, et la classe politique, paralysée par ses divisions, peinent à agir pour enfin donner naissance à des réformes pour relancer l'économie et instaurer une justice sociale.